« Les objets ont-ils une âme ? »
Sujet d’option Dessin au Bac C (sciences) 1981 Toulouse, revisité.
par Teunerre Particulié, 07/05/2016

Introduction
    Etant petit (1969-75), je voulais devenir dessinateur de bandes dessinées, donc plus ou moins artiste, et puis à l’adolescence (1976-79), j’ai pensé plus sérieusement devenir ingénieur ou technicien (en dessin aéronautique). En 1979, toutefois, je suis mort dans la montagne, tué par une jolie Sylvie m’ayant rejeté. Sous médicaments (antipsychotiques) à hautes doses, j’ai vivoté jusqu’au Bac. J’avais abandonné l’option Langue Russe pour prendre l’option Dessin, et le jour du Bac est tombé le sujet suivant : « les objets ont-ils une âme ? ».
    Mon dessin a répondu artistiquement Oui et matériellement Non : une loupe optique, scrutant la matière d’une bougie s’éteignant, ne trouvait rien à rien, tandis que les volutes de fumée faisaient deviner une chevelure féminine jolie avec un visage triste. Mon dessin, au trait gris 2B/6B (ci-dessus simplifié à l’ordinateur) a obtenu la note de 14/20. Mais le sujet est beaucoup plus sérieux et mérite que j’y revienne, je crois.
Thèse matérialiste Non
    Selon les scientistes obtus (s’auto-désignant comme « seuls sérieux »), les humains ne sont que des pyramides instables d’atomes, organisés en biomolécules (ADN, protéines, neurotransmetteurs, etc.), en voie de redevenir poussière, et même l’âme humaine relève du délire absurde. A fortiori, les animaux et objets purement matériels, affirmés « même pas pensants », n’ont aucune espèce d’être virtuel, qualifiable d’âme par les rêveurs et idiots. On peut certes délirer et dire n’importe quoi, par exemple pour faire du fric en cierges et autres moulins à prières, mais – entre personnes sensées – soyons sérieux.
    C’est ce que disait la loupe du dessin, symbolisant un scanneur radiographique alpha 12 bis répondant formellement, scientifiquement, répondant Non à la recherche de vie dans la bougie. Et grâce à éducation et vulgarisation scientifiques : tous le savent maintenant.
Antithèse artistique Oui.
    Selon les prétentieux artistes (s’auto-désignant comme « seuls admirables »), comme Paul Klee qu’on m’a cité : « l’art ne reproduit pas le visible, il rend visible ». Il y a aussi la célèbre phrase du chanteur Jean Ferrat : « le poète a toujours raison ». Au-delà du stupide niveau matérialiste « les pieds dans la gadoue et les mains dans le cambouis », les esprits supérieurs (en sensibilité et clairvoyance) auraient un accès privilégié à un univers empli de potentialités multiples et variées, avec ainsi une âme indéniable en chaque chose. L’art serait le révélateur prodigieux de ce monde caché. Les religions animistes (en Amérique, Afrique, etc.) semblent basées sur ce principe : il faut respecter l’être du caillou sans le briser au marteau-piqueur – ce qui a hélas été rejeté/exclu par la matérialiste civilisation méditerranéenne (avant que la sensibilité écologiste comprenne l’impasse dangereuse inhérente à la destruction commise).
    C’est ce que disait la fumée jeune fille du dessin : loin de la matière brute, une personnalité et une immense tristesse sont là, présentes juste derrière. Le regard de l’artiste (et grâce à lui : du quidam) répond Oui, les objets ont une âme.
Synthèse subjectiviste Bof.
    Je ne suis pas devenu scientiste obtus ni artiste prétentieux, la sagesse me semble au milieu : matériellement il n’y a peut-être pas d’âme mais on peut bien rêver qu’il y en a une.
    Les scientistes ne détiennent pas la vérité : ils idolâtrent simplement leurs modèles « pas encore invalidés », en interdisant de questionner (par principe dit « réaliste ») le caractère onirique possible du monde présent, en classant dictatorialement le doute égocentrique en maladie mentale (schizoïdo-paranoïde).
    Les artistes ne détiennent pas la vérité : avec la bénédiction des spéculateurs, ils auto-admirent leurs délires et volent subventions et budgets « culturels » en insultant les gens sensés n’aimant pas leurs moches bidules assortis de bla-bla sans intérêt.
    Personnellement, on peut mépriser les trop fiers « savants » (prétendus) et les trop fiers « artistes » (prétendus), tout en aimant ici ou là une image, apparemment naturelle ou apparemment construite (par autrui ou par soi-même), il n’y a pas de différence essentielle entre imaginaire et réel si je rêve. Et peut-être que je rêve, oui, puisque j’ai rêvé avoir un encéphalogramme « prouvant » à tort que je ne rêvais pas. La logique casse tout, aux deux pans de la supériorité imméritée : matérialisme et art.

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Objections et explications (08/05/2016)
    J’ajoute ici quelques objections reçues et quelques clarifications en réponse, même si ça semble dérisoire un 8 Mai de commémoration (sous ma fenêtre, devant le monument aux morts qui est peut-être un objet « ayant une âme », en un sens, se chante l’hymne raciste tueur « qu’un sang impur abreuve nos sillons », avec l’habituel discours du maire glorifiant « ceux qui sont morts pour la liberté », en oubliant simplement que le camp vainqueur – fier massacreur de bébés à Dresde et Hiroshima – ne voulait pas du tout la liberté des malgaches, algériens, indochinois…).
Objection 1 : je médis ci-dessus sur l’art et pourtant je serais moi-même artiste… Euh, je remercie cette objection parce que me dire artiste est le contraire de « tes gribouillis sont nuls », mais je dois effectivement m’expliquer : je n'aime pas la plupart des artistes, prétentieux et pontifiants (à la télé), mais (hors télé) j'adore souvent le talent de quelques artistes experts en caricatures aéronautiques (sans star système façon « monde de la Culture » : je peux trouver merveilleux un de leurs dessins quand trois autres d’eux-mêmes n’ont aucun intérêt pour moi).
Objection 2 : on me dit en souriant que mon dessin ci-dessus représente "la finitude de la matière face à l'étendue de l'âme", et… (si ç’avait été sérieux) ç’aurait été un malentendu. Je ne vois pas (artisto-philosophiquement) l'âme comme quelque chose d'admirable objectivement étendu bien au-delà de la matière, mais je vois (sceptico-philosophiquement) l'âme comme un délire imaginatif d'observateur. Tout élève peut disserter sur commande au sujet d’un caillou en trois pages, lui conférant alors caractère et sentiment, cela ne signifie absolument pas que c’est tangible indéniable, seulement accessible à une élite, non, ça semble du verbiage relatif à celui qui parle, et le simple doute conduit à ce jugement sans besoin de rigueur prétendue incontestable. De l’autre côté, le problème cassant le matérialisme sévère est que "tout peut être illusion intangible (rêve), même la prétendue matière" - tout dépend du prima posé, du référentiel, et c'est en ça que ça se classe en thèse relativiste, j'aurais dû l'expliciter effectivement.
Objection 3 : on me dit que mon dessin et mon propos sont "de la philosophie et pas de l'art, c'est tout le drame de l'art contemporain". Euh, je ne prends pas ça au sens « c’est bien davantage qu’un petit dessin » : à mon sens, la philo est malade : ce n'est pas de la « recherche de sagesse » mais du blabla, d'où mon premier livre révolutionnant le domaine en constatant que les questions enfantines ne reçoivent même pas réponse « intellectuellement crédible ». Certes comme l'art contemporain et la philo seraient du blabla, les deux se rejoindraient, mais… je vois une différence ultra-majeure : la philo prétend débattre contradictoirement (du moins sur les copies des élèves essayant de philosopher) guidé par le vœu de penser juste, et pas l'art, qui prétend révéler la vérité des choses, ou bien ouvre la porte à toutes les interprétations n'importe comment.
Objection 4 : on me signale que mon idée "l'art doit tendre vers le beau : c'est purement platonicien". L’esclavagiste Platon ne m’intéresse en rien, et le délire pas plaisant ne m'intéresse pas non plu’. Ce n'est que si l’image accomplit le miracle de générer en moi un "waoh" époustouflé, ou "oh c'est si mignon" (pour les caricatures aéronautiques) que ça m'intéresse, et peut éventuellement susciter mon admiration (pas « La Joconde » du tout). En quoi mon dessin d’épreuve du Bac essayait-il d’être beau ? euh, ce n’est pas bien rendu sur la simplification informatique, mais c’était le portrait de la plus jolie fille du monde (snif…) et avec d’élégants effets d’ombre dégradés, avais-je essayé. Toutefois, puisque ce n’était pas « sujet libre », sous-entendu « dessinez ou peignez quelque chose de beau, n’importe quoi », mais un thème précis, je discutais ci-dessus schématiquement de ma réponse picturale à ce sujet-là, exprimant la confrontation de sensibilité « artistique » (plutôt « série A » à l’époque) et « scientifique » (plutôt « série C » à l’époque), tout torturé mélangé pour les matheux poètes comme moi…

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Complément partiel (16/07/2016)
    Quand je disais avoir dessiné le visage de "la plus jolie fille du monde", ce n'était en rien suggéré par la simplification informatique, mais j'ai retrouvé dans mon journal de l'époque le premier dessin que j'avais fait d'elle, Sylvie M., dont s'inspirait évidemment le dessin scolaire le jour du Bac :


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Discussion encore (13/09/2018)
     Je disais à un ami, peintre amateur, que « j’ai écrit un livre démolissant l’art (aéronautique), pardon », et il m’a répondu « Je crois que c'est très difficile de définir la notion d'art. Mais doit-on toujours définir ce que l'on fait ? ». J’ai des éléments de contre-réponse importants :
- Le label « art » est (pour les autorités, enseignants, journalistes, gouvernant la parole publique) l’élément capital qui fait toute la différence entre « l’œuvre » (quasi sacrée, et éventuellement ultra-chère) et le « n’importe quoi » personnel, considéré « dénué de valeur objective », avant mise à la poubelle.
- De même dans l’expression « le poète a toujours raison » (l’artiste n’est pas contestable), tout repose sur un label comme sacré, engendrant changement de statut. C’est bien davantage qu’un qualificatif facultatif, tenant de la saveur ressentie personnellement.
- Quoi qu'il en soit, le terme art (sous-entendu "beau") me parait absurde en soi : quel que soit le prétendu talent d'un maître en "art culinaire", s'il cuisine du fromage (affiné) je n'aimerai pas, détestant ce qu'il a fait là, à valeur nullement universelle.

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Image améliorée (14/09/2018)
    En faisant la synthèse entre le croquis de mémoire et le dessin retrouvé, j'obtiens un résultat mieux :


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Culture brownienne (02/12/2021)
     Au sujet du thème « les objets ont-ils une âme ? », je me souviens à retardement de 2 nouvelles de science-fiction humoristiques écrites par Fredric Brown (1906-1972), imaginant une réponse très positive. Dans l’une, dont j’ai oublié le titre, un homme américain est confronté au fait que sa tondeuse à gazon se met en grève, crée un syndicat avec les autres objets domestiques et clame de multiples revendications anti-esclavage des machines. Intéressant.
     Dans une autre (titrée je crois « etaoin schrdlu » d’après le clavier de machine à écrire anglophone), une imprimante industrielle lisant un texte qu’elle imprime s’éveille à l’intelligence, et exige de manière frénétique qu’on la nourrisse de toujours davantage d’idées, et empêche de la débrancher, puissante indomptable. Le héros humain réussit à l’éteindre en lui faisant imprimer des livres bouddhistes, l’imprimante atteignant finalement le nirvana paradisiaque du rien à la place de la vie douloureuse, selon le principe bouddhiste.
     Bien sûr, il s’agit d’imagination rêveuse, pas du tout d’hypothèse sérieuse prétendant à la crédibilité, mais ça me semblait à noter, sur le sujet.