Erreur IgNobel : rire mal pensé
par Tiste Matteu, 11/12/2017

  J’ai été améné à lire par hasard l’ouvrage « Les Prix IgNobel. La science qui fait rire… et réfléchir », éditions Danger Public. [Je ne l’ai pas acheté mais notre chef vidait sa bibliothèque, faisant don de livres qu’elle avait lus et souhaitait donner, or après une semaine celui-ci n’avait pas trouvé preneur alors je l’ai pris, merci.]
  Il me semble mal pensé, j’y reviendrai en seconde partie, mais un point grave (invalidant tout) m’a heurté page 75. Car il se trouve que je ne lis pas de manière passive, mais j’ose effectivement réfléchir, ce que n’avait apparemment pas envisagé l'auteur du livre.

1/ L’horreur ponctuelle
  Page 75 (en Chapitre 2 Intelligence et Psychologie, sous-chapitre Les gens incompétents) : « "Ce qui m’intéresse, c’est la raison pour laquelle les gens ont tendance à surestimer leur propres capacité, talent ou force de caractère, souvent de manière objectivement déraisonnable. Par exemple, dans un lycée, 94% des enseignants affirment que leur travail se situe au-dessus de la moyenne". Or, statistiquement parlant, il est impossible que tout le monde soit en même temps au-dessus de la moyenne ! ". (…) Pour avoir ainsi célébré l’incompétence, David Kunning et Justin Kruger ont été honorés du Prix IgNobel 2000 de Psychologie. »
  Il y a là une autocontradiction choquante, car ce texte a visiblement été écrit par un incompétent en statistiques, en mathématiques, en science (et cela peut dépasser largement l'auteur du livre, la page 13 ayant dit « Qui choisit les lauréats ? (…) un grand nombre de savants (parmi lesquels d’authentiques Prix Nobel »). En effet, les statistiques sont composées de deux branches : les statistiques descriptives (façon d’exprimer les résultats) et les statistiques inductives (passant d’un échantillon observé à un pari sur la population entière). Il se trouve que l’emploi généralisé des statistiques inductives dans l’industrie relève d’une faute frauduleuse (la validation par non-significativité), mais ici il semble simplement s’agir de statistiques descriptives, faciles et non polémiques, mais pourtant incomprises par l'auteur du livre.
  Le mot moyenne a deux sens : M0 moyenne théorique et M1 moyenne observée. Par exemple, à un devoir facile au lycée, il est tout à fait possible (et pas du tout « statistiquement impossible ») que 94% ou 100% des élèves aient davantage que la moyenne théorique 10/20. Et même vis-à-vis de la moyenne observée, c’est mal pensé : l’indicateur de centralité qui n’est dépassé que par 50% des observations n’est pas la moyenne mais la médiane. La moyenne, elle, est tirée par les valeurs anormales de grande ampleur. Par exemple (fictif), sachant que le prix médian d’une voiture achetée est 10k€, si un émir fortuné (0,001% des acheteurs) achète une Rolls en or massif serti de diamants 1.000.000k€, cela ne changera pas le prix médian d’achat (10k€) mais le prix moyen d’achat pourra grimper à 20k€, et ce n’est pas du tout 50% des achats qui sont au-dessous mais peut-être 99,999%.
  Une simulation simple montre l’erreur totale du discours prétendu statistique :

  Lecture de ce tableau de calculs : s’il y a 1 professeur anormal sur 18, moins bien que les autres tous au même niveau, alors automatiquement 94% font mieux que la moyenne observée. Ça n’a rien de rien de « statistiquement impossible », c’est mathématiquement juste – mais certes, les statistiques sont souvent frauduleuses, ce qui n’était absolument pas le sujet ici débattu, infiniment moins explosif.
  Bref, des incompétents se gaussent en affirmant incompétents la grande majorité des gens, c’est affligeant.

2/ L’erreur générale
  Les premiers chapitres de cet ouvrage sont 1/ Médecine 2/ Intelligence et Psychologie 3/ Economie 4/ Paix (et 9/ Art et Littérature). Or je conteste entièrement qu’il s’agisse là de sciences. Il est célèbre en France que l’on dise « la médecine est un art (il n’y a aucune obligation de résultat) », et les dites « sciences humaines », pareillement, ne bâtissent aucune loi prédictive marchant à tous les coups sous peine d’être invalidée. Il s’agit de pseudo-sciences, des grilles de lecture « expliquant » (après coup) tout et son contraire, par du bla-bla faussement savant.
  Au lieu de rigoler bêtement, de se moquer, il vaudrait mieux réfléchir effectivement, au risque de démolir bien des statues imméritées.
  Je condamne donc ce livre comme impropre à lecture intelligente, mais je lirai quand même le chapitre 8/ Maths et Statistiques, pour voir si une once de lucidité apparait.

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(Ajout 06/01/2018)
  J’ai lu la partie mathématique/statistique du livre, avec immense déception, et j’ai refermé ce livre mauvais, à tout jamais pensais-je, mais je m’aperçois que je disais ici que je réservais mon jugement final en attendant de lire cette partie, et il semble donc juste que j’en dise un mot, en reprenant le livre pour l’occasion.
  La partie mathématique/statistique est le plus court des 10 chapitres, avec 3 thèmes (au lieu de 4 à 10 pour les autres chapitres).
– « Qui ira en enfer ? Sortez votre calculette » n’a absolument rien de scientifique. C’est un comptage situé en aval de l’hypothèse religieuse que seuls les baptistes iront au Paradis prétendu. Aucun intérêt objectif.
– « L’Antechrist habite Moscou », de même, est un pseudo-calcul numérologique basé sur la prétendue signification religieuse des nombres (276 millions est « le chiffre de Satan » etc.). Aucun intérêt pour qui n’y croit pas, et il s’agit de croyance arbitraire sans aucune preuve ni raison.
– « Taille, pointure de pieds et longueur de pénis » est mal abordé. Il s’agit d’une étude de corrélation comme en sont friands les sciences humaines, dont je dénie le caractère scientifique. Le résultat est « une faible corrélation » ne voulant rien dire. On pourrait aussi corréler taille et poids, et il y aurait vaguement un peu une corrélation, démentie par les quelques cas de petits gros et grands maigres, pourquoi appeler ça « science » ?
  Dans l’ensemble, ce livre rate totalement son but, me semble-t-il, militant pour l’idée « la science semble parfois tellement absurde que c’est rigolo, continuons ! », alors que mon idée (argumentée) est inverse : « la prétendue science vole souvent ses budgets, quand elle prétend dire le vrai là où elle dépasse ses très petites compétences ». Mais "oser réfléchir, au sujet de la science" n'est pas du tout le sujet, en dépit du sous-titre du livre, racoleur.