Gros gros doutes concernant la bande dessinée « Pif-gadget »
(par Exfan Troublay, 07/01/2018)

  Dans mon enfance, notamment les années 1971-75 (à 7-11 ans), j’étais un lecteur fervent du magazine hebdomadaire de bande dessinée Pif-gadget. Mon frère m’en offre aimablement des exemplaires d’occasion pour mes anniversaires maintenant (merci !), et je suis amené à les relire avec recul adulte. Par ailleurs, ma mère m’avait dit, des années après, que ce magazine était gentillet mais obéissait discrètement à un archétype en fait communiste, le héros bienfaiteur partageur et non-religieux. Cet aspect politique camouflé m’incite à froncer les sourcils, avec réserve, et moins gober benoitement les histoires.
  En fait, ce magazine Pif-gadget avait 3 parties : l’humour coloré type dessin-animé (dont j’adorais Corinne et Jeannot, Les As, La jungle en folie, M le Magicien, Horace), les jeux (ne m’intéressant guère), les aventures réalistes en noir et blanc (dont j’adorais surtout Docteur Justice, Loup Noir, Teddy-Ted, Corto Maltese, Rahan). En terme d’influence, c’est « Docteur Justice » qui nous a je crois le plus marqué, conduisant mon frère ainé à se faire surnommer Ben comme le héros prénommé Benjamin, et me conduisant à pratiquer le judô puis l’aïkidô (dans un esprit de silence cérémonieux et pas de sport compétitif). Or je viens de relire une histoire de Docteur Justice me semblant traiter de manière ultra-contestable un problème politique majeur. Je vais ici en débattre.
  Dans le Pif-gadget n°153/1391 de Janvier 1972 figure l’histoire « Dr Justice – La piste de Jamalpur » où le héros, médecin expert international, est agressé par le pouvoir local pakistanais car, en marge de ses occupations officielles, il recherche un chirurgien disparu, ex-élève de son supérieur anglais. Ce disparu s’avère un chef indépendantiste bengali, créateur d’hôpitaux pour les combattants indépendantistes, et c’est pour le scénariste (J.Ollivier) le camp des gentils évidents, des justes, face au pouvoir oppressif, « méchant » tricheur violent déloyal (et tortureur d’enfants, bien sûr).
  A l’époque j’avais 8 ans et il est clair que ceci était pour moi une exotique histoire de gentils contre des méchants, mais… aujourd’hui que se discute avec malaise l’indépendance de la Catalogne, j’ai davantage de recul, et je ressens avec immense méfiance le message « les combattants indépendantistes sont les gentils, le pouvoir central est le très méchant ».
  Ce dont personne ne parle à la télévision, étrangement, mais qui m’intéresse vivement, est le précédent est-ukrainien, avec la condamnation française (et occidentale) unanime de l’indépendance de l’est-Ukraine russophone en 2014… arguant que les indépendantistes étaient les méchants bandits quand le pouvoir central était le Bien… Clairement, les médias (dont les bandes dessinées pour enfants) nous manipulent, dans cette affaire, nous dirigeant ici ou là pour reprendre en cœur la direction escomptée, forgée en « opinion publique » se croyant à tort libre. La recette est évidemment simple : soit montrer un pouvoir féroce brimant des innocents ne demandant que la liberté, soit montrer des xénophobes broyeurs d’innocents et difficilement contenus par des autorités entièrement légitimes et pures. En la matière, l’histoire-géographie-informations est clairement du lavage de cerveau, dirigeant la pensée sans procès contradictoire équitable. Je n’aime pas cette manipulation, se disant éducation-instruction-investigation-divertissement sans permettre à l’intelligence critique de s’exercer.
  En matière d’indépendance nationale, je suis choqué par les deux côtés, opposés : il nous était dit que les est-ukrainiens étaient des monstres, il nous est maintenant dit que le pouvoir central madrilène est horrible, le point de vue opposé dans les deux cas pouvant avoir sa légitimité aussi. (Je n’ai pas de souvenir de l’affaire pakistanaise, Internet me précisant simplement que le Bengale ou Pakistan, partie musulmane des Indes, a été officiellement scindé en deux en 1971 quand le Bengladesh a obtenu son indépendance… pour devenir le pays le plus pauvre du monde). Pas simple. Je reprends maintenant la question à la base :
1/ « Droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ». Comme bien expliqué sur la page Wikipedia
https://fr.wikipedia.org/wiki/Droit_des_peuples_%C3%A0_disposer_d%27eux-m%C3%AAmes , ce concept de droit international a toujours été problématique, à la fois clamé et bafoué. Quoi qu’il en soit, il semble légitime qu’une province écrasée par un pouvoir central méprisant obtienne son indépendance simplement en la demandant par le vote, sans violence aucune, et cela évite une guerre civile injuste (à torts partagés, même si des observateurs peuvent choisir de présenter les uns ou bien les autres comme méchants contre gentils).
2/ « L’humanisme anti-frontière ». Comme expliqué sur la page Wikipedia https://fr.wikipedia.org/wiki/No_Border , il existe une minorité politique qui est hostile à tout principe de frontière entre êtres humains, le mur national étant anti-humaniste, contrevenant à l’article fondamental des droits de l’homme « tous les enfants naissent égaux en dignité et en droits » (sans prétendue supériorité des compatriotes sur les dits étrangers).
  Personnellement, je suis un adulte « anti-frontière » et je suis donc choqué que Pif-gadget ait voulu me mettre dans la tête « les indépendantistes sont les gentils admirables, les anti-indépendantistes sont les méchants affreux ». Evidemment, un pouvoir peut se montrer horrible dans une lutte contre des indépendantistes, mais des indépendantistes peuvent aussi se montrer horribles contre des innocents rejetés comme « sales étrangers ». Mon utopie n’est pas celle de Pif-gadget finalement : je ne souhaite pas que tous les groupuscules s’affirment indépendants en rejetant autrui, je souhaite que le monde s’unisse sans plu’ de rejet (et tant pis pour la perte de notre opulence aristocratique occidentale).
  Ceci dit, il est clair que ma vue est une utopie, imaginant l’être humain bon et honnête, ce qui n’est pas du tout la leçon de l’expérience. Ainsi, dans l’Union Soviétique, l’ethnie russe dominait, en Ukraine notamment, et quand l’Ukraine est devenue indépendante, les Ukrainiens se sont mis à dominer ces Russes localement minoritaires ; mais dans une sous-partie où les Russes sont majoritaires, ils veulent maintenant l’indépendance pour dominer les Ukrainiens (et là, si ça se faisait, dans telle micro-sous-sous-partie il y aurait des Ukrainiens voulant l’indépendance pour dominer les Russes – tout comme, si la Corse devenait indépendante, telle résidence de retraités continentaux pourrait à son tour réclamer son indépendance…) c’est sans fin, et moche… Je souhaiterais un monde sans domination, mais l’être humain étant hélas ce qu’il est, ça ne correspond à rien de rien. C’est triste. Mais, en tout cas, je ne crois plu’ aux histoires de gentils combattants indépendantistes, tout combat politique armé me semble suspect de mocheté.
  Evidemment, la télé (et l’éducation scolaire publique, la propagande) m’a seriné comme à tout le monde l’immense contrexemple de la glorieuse lutte à mort contre le nazisme, mais j’y vois une lutte d’un Mal contre un autre Mal. Les aventures du « grêlé 7-13 », dans Pif-gadget, célébraient ainsi le héros résistant tueur (communiste ?) mais sans avouer que les Français de l’époque étaient indigénistes, escomptant la domination éternelle des blancs (et Juifs) sur les Algériens, Indochinois, Palestiniens, etc. (privés officiellement de droit à disposer d’eux-mêmes, et classés sous-humains…). Je vomis cette propagande, maintenant.
  Ainsi, je désapprouve ceux qui m’ont embrigadé dans une autre direction que pacifiste, profitant de ma jeunesse crédule, avant consolidation de l’intelligence critique.