Gestion de diversité aérophile
Projet avorté d’article pour le magazine aéronautique « Le Trait d’Union »
par Christophe Meunier*, 16/10/2016

(* : ± expert es avions-bipoutres, auteur des livres aéronautiques « Catamarans du Ciel », « Fantômes fourchus », « Fantômes biscornus »)

    La précédente tribune « A l’air libre » traitait du sujet « Qui sommes-nous ? », mais son aimable rédacteur ne pouvait évidemment émettre que des idées générales convenues, sans se situer dans la tête de chaque adhérent (de la « Branche Française d’Air Britain »). Or toute association, sans doute, comporte sa part d’originaux, anormaux, en voie de radiation ou bien acceptés avec leurs caractères inusuels. Je suis un tel cas, peu classable, ou rejetable comme aliéné à la mode de l’ex psychiatrie soviétique, politico-oppressive sans l’avouer.
    Les statuts de l’association posent comme impératif absolu de ne fusionner à aucun parti politique ou groupe religieux, de respecter le secret militaire et la propriété privée. Mais… il existe toute une panoplie de regards « orientés », sur l’aéronautique française, au simple titre d’opinions personnelles. Certes, les querelles politiciennes pour gagner les élections sont clairement hors sujet dans un magazine d’aéronautique, mais… politique et géopolitique ne sont pas loin quand un article porte sur des souvenirs de l’attaque de Suez 1956 (n°289) ou potentiellement sur la composante aérienne de la dissuasion atomique française 1964-2005. D’après la description de Suez qui a été faite, l’armée française est allée tuer pour défendre des capitaux contre les droits d’un peuple à disposer du sol où il est né, ça mérite pour le moins étonnement, questions, même si la plupart des anciens combattants et sympathisants approuvent sans imaginer contestation possible (le « devoir » c’est obéir…). Et la campagne de Suez s’est effectuée en s’alliant à l’état d’Israël, qu’une partie du monde (un milliard de musulmans, privés du droit de veto ONU, qu’ont vingt fois moins de Français) considère comme un état raciste terroriste illégitime, constitué par massacres impunis (Der Yassin, Haïfa, etc.) et ne respectant pas la résolution ONU 194 de 1948 sur le droit au retour des Palestiniens expulsés ou ayant fui terrorisés. Hum, se ranger derrière nos aviateurs tueurs n’est pas automatique, là, non, sur le principe. De même, la dissuasion nucléaire obtient l’assentiment politique de gauche et droite politiciennes, forces de pouvoir, mais le petit parti « humaniste » disait au cours d’élections passées que ces armes sont illégales, ne respectant pas le chapitre désarmement du traité de non-prolifération nucléaire. Aïe, mais pourquoi aucune télévision, aucun journal, aucun magazine (Trait d’Union inclus) n’en parle ? Il semble qu’on nous fait foncer dans les lieux communs de propagande ne dérangeant pas le pouvoir, or certains membres peuvent être anormalement lucides, judicieusement critiques.
    Loin de vénérer notre armée, je suis personnellement antimilitariste, et c’est très certainement critiquable comme naïf ou irresponsable, mais pourquoi me serait-il interdit de me tromper ? On me répond que les pacifistes munichois étaient un très grand mal et qu’il fallait bien stopper l’abominable Hitler. Mais ça ne me convint pas, car je pense que l’Axe de 1939-41 était simplement jaloux des franco-britanniques ayant conquis le monde et traité sa population en indigènes corvéables, l’Axe voulant simplement nous traiter de cette même façon… Et comme la morale élémentaire dit « traite autrui comme tu voudrais être traité », nos ancêtres colonisateurs auraient dû applaudir l’attaque invasive subie. Mais pas du tout, et même, pour éviter une paix négociée à concessions réciproques, nos aïeux ont commis des atrocités, brûlant vifs les bébés de Dresde, Tokyo, etc. (en terrorisant les populations civiles, but quasi officiel, « terror bombing »). Sans que la télé n’en dise le moindre mot négatif, non, dormez tranquille, on vous demande seulement d’approuver, sans vous étonner en rien… Il faut que nous soyons de bons soldats, ou soutiens de soldats (avec cet hymne raciste incroyable qui dément l’innocence des civils et a pour but de tuer le « sang impur » des étrangers et leurs bébés…). Il ne faut surtout pas que nous ayons l’intelligence critique, hérétique, d’oser nous montrer libres penseurs, contestant ce qui fait l’unanimité dans les cercles de pouvoir…
    Personnellement, j’ai été réformé du Service Militaire National Obligatoire pour « troubles psychiatriques » (en 1984), et je ne demande bien sûr pas que le magazine me suive plutôt qu’il garde une ligne normale, convenue. Simplement, j’attire l’attention sur le fait qu’un groupe d’individus membres d’association constitue une diversité, et il n’y a pas de bon gros sens commun auquel faire appel pour traiter des sujets aéro-militaires.
    Ce n’est pas sans conséquences énormes, cachées bien sûr : j’ai inventé une solution pacifique, non violente, au problème terroriste actuel, et cela ferait perdre des milliards d’Euros à l’industrie d’armement, des milliers de milliards de dollars à l’échelle de la planète. Je vois ça comme un gain magnifique mais les industriels-employés-familles peuvent y voir une calamité, alors mieux vaut continuer à s’entretuer ? Le Trait d’Union n’est bien sûr pas une revue de réflexion géopolitique, mais dans la mesure où il célèbre nationalistement l’aviation française et sa composante militaire, il n’est pas neutre du tout. Si je proposais la dissolution des frontières pour partager enfin la misère du monde, les esprits se crisperaient et des cris pointeraient, simplement tempérés par des index tournés sur les tempes… Non, Le Trait d’Union ne va sans doute pas changer, rassurez-vous, mais les blablas sur l’unanimité de nous-mêmes étaient erronés. On peut aimer les avions aérodynamiques et regretter qu’ils soient presque tous militaires, c’est possible, anormal mais avéré. Le consensus à membres effacés peut cacher des divergences colossales.
    Les statuts de l’association ne stipulent certes pas qu’un centrage sur « l’histoire de l’aviation française », il est aussi prévu amitié et camaraderie entre les membres, or – effectivement – parler de ce qui divise violemment, oppose des avis hurlants, est tout à fait contraire à ce principe. Mais, tant que je ne disais rien, je subissais en taisant mon désaccord. En ce sens, c’est un écrasement des anormaux par la majorité, ce n’est pas le sens que je donne au mot « amitié » (respectant chacun et la diversité ?).
    Puisque, assez normalement, ce papier osé sera (presque assurément) refusé pour « tribune libre » dans le magazine, j’en fais plutôt une petite page Internet, lieu d’expression vraiment libre, non cadenassée par « responsables » autorisés, garants du caractère publiable devant les autorités.