Lumineuse auto-destruction d’une aérophilie naïve
par Tophe, 12 Mars 2009 + 14 Juillet 2010

ENGLISH VERSION
Ajout

    En étant à la fois séduit et choqué par l’ouvrage « Héros et héroïnes de l’Aviation » (du premier avion au mur du son), qui constituait en quelque sorte le volet ancien du film « L’étoffe des héros » (du mur du son à la conquête spatiale), j’ai réfléchi, réfléchi, et une illumination m’est venue, expliquant peut-être tout, et conduisant à l’effondrement partiel de ma passion pour les avions.

MA NOUVELLE VISION
    En regardant l’Histoire aérospatiale à rebours :
– Fin des années 1960 (bien connu) : Gloire pour le héros ayant fait le grand pas ("pour l’Humanité") de marcher sur la Lune, mission périlleuse et dont les préparatifs firent de nombreux morts héroïques, concrétisant un très ancien rêve humain, méritant bien ces sacrifices (de vies et milliards $). --> En fait, cela n’avait aucun intérêt vital, il s’agissait de berner les foules en investissant très lourdement dans les fusées, le but étant les missiles nucléaires intercontinentaux menaçant d’exterminer les civils et enfants russes (peut-être pour que les rentiers exploiteurs d’Occident risquent moins de devoir partager).
– Fin des années 1940 (assez connu) : Gloire pour le héros ayant brisé le mur du son et survécu après tant d’échecs mortels pour ses confrères, annonçant une plaisante suppression des pertes de temps en voyage, pour les touristes et hommes d’affaires. --> En fait, cela n’avait aucun intérêt vital, il s’agissait d’avoir une longueur d’avance pour rendre inarrêtables des bombardiers menaçant les villes russes (ou occidentales en sens inverse).
– Début du vingtième siècle (nouveauté !) : Gloire pour le héros ayant fait décoller (puis grimper et virer) un plus-lourd-que-l’air, pour celui ayant battu tel record de distance ou de vitesse, après tant d’échecs mortels pour leurs confrères, concrétisant le vieux rêve de l’homme-oiseau. --> En fait, cela n’avait aucun intérêt vital, il s’agissait de berner les foules en investissant lourdement dans des bombardiers moins vulnérables aux canons anti-aériens que les énormes et lents dirigeables.

COMMENT J’EN SUIS ARRIVÉ LÀ
Aérophilie :
    Vers 1970 (j'avais six ans), mon oncle le plus proche était ingénieur en électronique aérospatiale (après avoir voulu devenir héroïque pilote d’essai – projet refusé par ses parents à cause de la mortalité effrayante dans cette profession durant les années 1950-60). Il a offert des maquettes d’avion à ses neveux, mon grand frère ratant complètement la sienne et moi la réussissant… première fois que je surpassais mon frère dominateur écraseur. Je suis alors devenu maquettiste aéronautique enthousiaste. Puis passionné d’aéronautique en recevant pour Noël une encyclopédie de l’aviation. « Quand je serais grand », je voulais devenir ingénieur en dessin aéronautique, ou technicien en construction aéronautique. Monter dans un avion ou voler ne m’intéressait pas du tout, me faisait plutôt un peu peur. Dans ma collection, il y avait un joli Mirage III avec hélas des canons, alors que je n’aimais pas les armes (avec lesquelles mon frère me massacrait virtuellement). Il y avait un joli Messerschmitt 262 avec hélas des swastikas, alors que je n’aimais pas le fascisme (culte du dominant autoritaire). J’ai obliqué vers le monde médical et un maquettisme irréaliste (transformations de petits avions en leur enlevant armes et cocardes).
Illumination 2009 :
    J’ai reçu en cadeau un exemplaire dédicacé du grand livre « Héros et héroïnes de l’Aviation », et découvrir ce livre a été très dérangeant, me faisant réfléchir, pas juste avaler passivement des données techniques ou culturelles. Ce livre d’auteur (Bernard Marck) prend des positions courageuses, iconoclastes, sur de nombreux points : il accorde au maladroit français Ader (1890) la grande première qui est attribuée classiquement aux habiles américains Wright (1903), il fait admirer l’as allemand Von Richtofen grand tueur de soldats célébrés chaque année le 11 Novembre, il célèbre à peine davantage l’illustre pilote Mermoz que son mécanicien sauveur Collenot, etc.
    Mais il manquait une postface mettant en question la pensée unique concernant l’héroïsme en question. J’ai écrit cette postface possible – non pas un jugement objectif prétendant à l’équilibre, mais un regard opposé, enrichissant peut-être le sujet en faisant apparaître des choix. L’illumination est intervenue en songeant à réécrire le dernier paragraphe :

POSTFACE (par Tophe) : L’HÉROÎSME AÉRONAUTIQUE EN QUESTION

    [L’avant-propos du livre de Bernard Marck a esquissé quelques pistes polémiques : les héros humains sont souvent traités de fous, ils sont souvent plus modestes que divins, mais ils sont naturellement populaires, nous invitant tous à vibrer et rêver. Sur ces sujets, entendons un point de vue adverse, d’un trouble hybride de pointilliste matheux et de rêveur irréaliste :]

Base :
    Le dictionnaire Larousse définit ainsi « héros » : 1/ (mythologie) Demi-dieu. 2/ Personnage légendaire à qui l’on attribue des qualités et des exploits (surtout guerriers) extraordinaires. 3/ Celui qui se distingue par des actions éclatantes, par sa grandeur d’âme. 4/ (figuré) Celui qui joue le rôle principal dans une action fictive ou réelle.
    D’accord, ici implicitement étaient écartés les héros divinisés (Icare) ou imaginaires (Tanguy-et-Laverdure). Il s’agit donc d’acteurs (plutôt que d’inventeurs) ayant historiquement réalisé des actions mémorables : avec mise en scène (plutôt que réalisation discrète ignorée) et difficulté périlleuse (plutôt que formalité paisible). La mention d’un « héroïsme surtout guerrier » me fait toutefois froncer les sourcils, car j’y vois la propagande d’un camp tueur et non une valeur universelle et respectable (en terme de « grandeur d’âme ») – la définition paraît inclure des contraires. D’où contestation, automatiquement.

Objection sur le danger :
    Avec un peu d’esprit critique, on peut échapper à la propagande sensationnaliste, pour bâtir une opinion réfléchie. Contre-exemples imaginaires :
- Le pilote de guerre qui aurait réussi à envoyer dans la cheminée du groupe scolaire X une bombinette minuscule exterminant parfaitement les mille enfants réfugiés, grâce à une synchronisation stupéfiante et une téméraire ressource retardée presque jusqu’au crash fatal, n’est pas pour moi un héros mais un monstre atroce.
- Le pilote saltimbanque ayant, sous les caméras, réussi le tout premier à passer sous l’arc de triomphe en vol dos manuel (tête en bas, sans automatisme), avant de rater son retournement et s’écraser sur une crèche, blessant quatre nouveaux-nés, n’est pas pour moi un héros mais une bête de foire et un danger public.
    Le péril volontairement affronté ne suffit pas à faire l’héroïsme, les suicidés (exemple aéronautique : piqué et crash volontaires d’avion monoplace en montagne ou forêt) sont condamnés, par leurs familles blessées et par les payeurs des secours. Les inconscients semi suicidaires sont suspects : le risque inutile peut enchanter certains spectateurs (parlant d’héroïsme) et révulser d’autres (parlant de maladive jouissance dans le frisson). Le moderne « devoir de précaution » suggère qu’il faut attendre que les tentatives soient démontrées sûres pour les accomplir, le fait que cela retarde un peu n’ayant aucune importance.
    Pourtant, un cas me semble vraiment admirable, celui du pompier aérien qui se lance dans les vents de flammes pour sauver mille personnes en péril extrême, au risque de sa propre vie. Certes, mais ce n’est absolument pas l’objet de ce livre. Non, les historiques « héros mémorables » sont uniquement des personnages glorifiés par la presse du moment, présentés autrefois comme décisifs bâtisseurs dans une marche vers le Paradis matériel futur. Vu d’ici, cela peut faire sourire ou soupirer, applaudir n’est pas du tout automatique.

Objection sur le progrès :
    Les grandes étapes symboliques, dans l’Histoire de l’Aviation, peuvent marquer un bouleversement capital du monde. Cela répond-il à l’accusation de risque inutile ? Si on ne se satisfait pas de trains, bateaux, dirigeables, mais exige une course à la vitesse via l’avion, la seule justification vitale que je parviens à imaginer serait le transfert intercontinental de greffons sauvant des vies. Le but serait alors explicitement l’avion hypersonique à décollage et atterrissage verticaux (sur le toit des hôpitaux), or celui-ci n’apparaît nulle part comme but clair justifiant tout, jusqu’à une poursuite actuelle de la course…
    Non, les progrès de l’aviation concernaient surtout le monde marchand du transport rapide (de touristes ou managers ou ambassadeurs, de lettres ou petits colis ou lourdes charges). Les américains, ayant perdu la course SST-Concorde, ont incité à se satisfaire du meilleur compromis intérêt/coût, sans course infinie vers des performances extrêmes. Le même raisonnement aurait pu inciter à ne jamais franchir le mur du son, ou même à se contenter du vieux dirigeable, amélioré.
    Qui plus est, il y a des contraintes annexes et inconvénients qui tempèrent en pratique les avantages pour les utilisateurs : quand le train relie X à Y en 5 heures, l’avion moderne franchit cette distance en 1 heure de croisière, mais le passager d’avion perd parfois pareillement 5 heures : 1 heure de route pour atteindre l’aéroport excentré puis naviguer dans ses immenses parkings, 1 heure d’enregistrement et contrôles, 2 heures dans l’avion avec les temps au sol pour dégivrer l’appareil et attendre le tour de décollage puis en vol circulaire pour attendre le créneau d’atterrissage, 1 heure pour attendre le bus-navette et rejoindre la ville destination depuis son aéroport. Pourquoi avoir tué tant de gens pour diviser par 5 le temps de parcours, quand la perte totale de temps est inchangée ? Pour le long courrier, c’est assez différent, mais les concurrents de Concorde l’ont expliqué aux touristes : "Mach 2 ça ne sert à rien – au lieu de voyager 5 heures pour rentrer chez vous et passer 5 heures devant la télé, mieux vaut passer 10 heures de vol devant notre télé embarquée (et pour bien moins cher)"… Concernant la classe affaires, c’est encore différent : les marchands d’avions d’affaires disaient "au lieu d’attendre 5 à 12 heures l’avion conduisant le troupeau là-bas en 5 heures, achetez notre petit jet personnel qui vous y conduira aussitôt en 10 heures" – et les experts en communication moderne vont plus loin : "restez sur votre site et dialoguez par télé-conférence, avec risque vital totalement nul". Et si l’on avait investi dans l’électronique puis l’informatique les sommes dilapidées pour l’aéronautique, l’essai de prototype incertain en 1960 n’aurait pas été périlleux mais peut-être réalisé en toute sécurité après simulation sur ordinateur, sans tuer personne. Erreur de priorisation, foncer tête baissée en acclamant des héros n’était pas le plus judicieux. S’il avait fallu tuer 1000 « héros » pour avoir le réfrigérateur thermostaté dès 1881 au lieu de 1893, on dirait en 2009, avec le grand recul d’un siècle : c’était idiot, presque criminel, de faire la course, en tuant des naïfs excités..
    Et pourquoi ne cherche-t-on pas aujourd’hui à avoir des voitures supersoniques pour chacun (en tunnel souterrain sous vide) ? La réponse est simple : pas besoin… Les pilotes de course ou de voitures-fusées (records sur lac salé) sont peut-être adulés sportivement, mais cela relève du péril gratuit, aucunement du bien matériel au profit d’autrui.
    Le principe même de progrès matériel justifiant mort d’hommes est contestable. Sans la course technique, le monde serait resté frugal, avec moins de surconsommation inutile, de pollution, d’intoxication chimique, d’épuisement en ressources non renouvelables, de surpopulation. La sensibilité écologique et bio le suggère : pourquoi viser des rendements agricoles faramineux pour restreindre les anciens grands champs à de petits carrés entourés de parkings ? Qui plus est, les enfants pourris-gâtés ne sont pas nettement plus heureux mais surtout nettement plus exigeants, considérant comme un dû ce qui était vu comme une chance fabuleuse par leurs ancêtres. Le taux de suicide (malheur extrême) n’est pas moindre dans le luxe que dans la frugalité. Faut-il attaquer les tribus primitives d’Amazonie vivant paisibles et heureuses, avec une espérance de vie individuelle de quarante ans, pour leur imposer (via « héroïques » soldats ou éducateurs musclés) notre mode de vie trépidant et obèse, avec longues années en fauteuil roulant motorisé et impotence sous intubation ? Enfin, le partage mondial reste très partiel, et la suralimentation des uns côtoie la famine des mal-nés, méprisés et refoulés hors-frontières (les rites religieux pardonnant tout – et pour les incroyants : suffisent la solidarité locale et légère aumône lointaine). Les « héros » ayant œuvré à ses privilèges jaloux n’ont pas mon admiration, même si l’envie de confort semble une pulsion presque universelle. Mieux vaut réfléchir et douter que courir et acclamer les champions, à mon avis.

Objection sur la grandeur :
    Le héros modeste me semble un point majeur, car le statut prétentieux peut être exécré. Cela vaut pour l’aviation autrefois comme pour le sport actuellement. Le premier, le vainqueur, se voit à la fois applaudir et… regarder comme un anormal peu sympathique – puisque gagner, c’est faire perdre autrui, le vaincre et l’humilier, et notre culture altruiste est passablement gênée. Le héros sportif écrasant l’adversité est généralement acclamé, mais quand, sur sa lancée, il bat puis tue sa femme, un silence coupable se fait.
    Ecraser autrui est un principe courant dans le monde animal (mammifère) : se battre pour la place de mâle dominant (ou moins classiquement de femelle dominante) exprime moins de la grandeur d’âme qu’une pulsion bestiale. Les supporters et acclamateurs du héros triomphent par procuration. Cela rencontre un large succès (spontané ?), mais une certaine morale (coincée ?) peut en conclure que l’humain normal est hélas une bête.
    On m’a raconté que les antiques Grecs (ou Egyptiens, Hébreux, etc.) vénéraient les rares surhommes, mais que la civilisation méditerranéenne a été bouleversée quand Jésus-Christ a expliqué que le faible écrasé est plus aimable que le fort écraseur… et que pour gagner le paradis éternel, peu importe la religion ou absence de religion, la nationalité, seuls comptent les actes de générosité envers autrui. [Du moins, c'est l'enseignement révolutionnaire de la Parabole du Bon Samaritain dans l'Evangile de Luc. Certes, d'autres propos attribués officiellement à Jésus disent tout le contraire, louant le racisme sacré antigoy, l'esclavage, le meurtre des infidèles prosélytes, le capitalisme oppresseur, le royalisme. Hum.] Notre civilisation, soi-disant chrétienne, étant à l’opposé de cette fabuleuse pensée de Jésus, j’expliquerai comment je perçois la contradiction – pas hors sujet mais expliquant le principe « héros et humble donc doublement méritant ». L’Antéchrist de Niezsche affirmait que Jésus est débile (et débilitant) de préférer l’infirme au bien portant, le stupide au génial, le pauvre au riche, le faible au fort, le perdant au vainqueur. Et les chrétiens américains et autres suivent cet Antechrist pleinement. Pourquoi ? Ce qu’il y a, je crois, c’est que Jésus aurait été tué avant d'avoir dix-neuf ans s’il avait ouvertement craché sur l’Ancien Testament local (dictatorial, misogyne, raciste, exterminateur, esclavagiste, monarchiste, hiérarchique, ritualiste, intolérant), alors il l’a contredit sans le dire, ici ou là. Et l’Eglise parvenue au pouvoir (s’affirmant chrétienne et seule habilitée à en juger, les contestataires marsyonnistes étant persécutés) a ainsi, antéchristement, utilisé l’Ancien Testament (et les passages des Evangiles qui sont en accord) pour cautionner la monarchie de droit divin, l’aristocratie du sang bleu, puis le massacre des Amérindiens non mentionnés dans les livres dits sacrés, l’esclavage des Noirs, la dictature papale, l’inquisition torturant et brûlant les objecteurs tardifs, etc. Les protestants chrétiens ont protesté sur certains points, mais repris l’Ancien Testament plutôt que la parole de Jésus en faveur des faibles oppressés, pour bénir les riches exploiteurs du travail de peine et les nationalistes xénophobes. Les marxistes anticléricaux ont protesté, mais ils ont dérivé vers le culte obligatoire du leader (Staline, Mao), la guerre patriotique (méprisant l’humain étranger), la dictature (interdisant le débat contradictoire)… En Asie, le Bouddha avait inventé une autre voie, le renoncement au désir pour ne pas être frustré du désir inassouvi, d’où extinction solitaire paisible sans plus écraser autrui, mais les religieux ont là aussi caché la morale en question derrière un catalogue de rites ostentatoires et de vénération (envers le Bouddha lui-même, le dalaï lama, etc.). La parole religieuse ne craint pas le contresens : soumettez-vous à notre épée au nom du maître Jésus (l’humble partisan du faible), désirez ardemment ressembler au Bouddha (qui suggérait de ne plus désirer)… et sans discussion en retour – l’humanisme laïc semble pareillement mensonger quand il prétend servir les faibles mais chasse les étrangers sans-papiers pour ne pas partager la relative opulence locale (après avoir conquis le monde pour faire fortune, restant héritée en dépit des indépendances retrouvées). L’endoctrinement systématique ayant échoué avec le communisme, il semble donc que ce soit une pulsion populaire qui va vers le culte du héros dominant, ou l’envie justicière de prendre sa place pour faire pareil. Rares sont ceux intéressés par une paix frugale sans plus de domination… Je fais partie des naïfs utopistes (sans enfant, donc sans besoin de dominer) rêvant d’un monde meilleur, avec défaitisme, et sans rien faire du tout en pratique, tant la résistance énorme paraît naturelle.
    Les humbles me sont sympathiques, pas les héros. Je considère que ceux qui appellent Seigneur l’humble et sympathique Jésus (celui du Bon Samaritain et de "tendre l'autre joue") l’insultent, même si c'est un personnage imaginaire, selon moi. Idem pour les aviateurs glorifiés : leur "grandeur" ne me serait nullement sympathique, or ils n'ont que cette "grandeur" de différent avec mes voisins quelconques.

Objection sur le patriotisme :
    Je préfère contester la propagande nationaliste d’autrefois, je déboulonnerais ses idoles pour leur préférer des contraires imaginaires, infiniment plus estimables voire grandioses.
    Au lieu de célébrer en 1909 la (quinzième aviatrice mais) toute première aviatrice belge (en choquant les modernes indépendantistes wallons ou flamants, les jaloux luxembourgeois, les utopistes européanistes ou mondialistes), je dirais que la nationalité n’a aucune importance si l’on adhère au respect a priori égal de chacun (jugé ensuite selon ses actes) plutôt qu’aux valeurs groupistes – sans l’endoctrinement monolithique des médias nationaux laveurs de cerveau, on percevrait les alternatives. J’inventerais en 1909 la première personne ayant réalisé un atterrissage après panne-moteur et long plané, avant d’enseigner gratuitement ses trucs aux collègues et amis du Monde entier ; célébrée sous une Marseillaise tonitruante, elle aurait refusé ce chant, déclarant criminel de qualifier d’impur (et « à verser ») le sang des étrangers et de leurs bébés ; tuée par la foule furieuse (dressée par les médias), cette aviatrice serait morte (sans se défendre) en véritable héroïne, elle, à mes yeux. En totale opposition aux « héros » médiatiques de l’époque (et d’aujourd’hui).
    Au lieu de célébrer les as de 1914-18, massacrant les ennemis timorés ou maladroits, dans un camp comme dans l’autre, j’aurais plutôt glorifié le brillant pilote civil ayant refusé l’incorporation dans une armée bâtie (et motivée) pour le meurtre (haineux) d’humains déclarés ennemis par l’autorité locale ; ce pilote, embrigadé sous menace de mort, aurait fraternisé à travers la frontière avant d’être fusillé pour désertion. Et ce grand sacrifice visionnaire, cinquante ans avant l’amitié franco-allemande, aurait pu – s’il avait interpellé les foules – éviter la poursuite de la première guerre mondiale, éviter ses millions de morts, puis donc éviter la haine chez les vaincus brimés, éviter la seconde guerre mondiale qui en a découlé, éviter la Shoah raciste se trompant de colère, éviter la recréation d’Israël en réparation, éviter la Nakba raciste, éviter le terrorisme en représailles. Ce personnage aurait donc pu sauver la paix du Monde pour un siècle. Oui, célébrer ce héros-là (imaginaire) pouvait être extrêmement utile, suscitant une saine et immense admiration. Alors que célébrer les plus efficaces obéissant aux ordres de haïr et tuer conduit à l’horreur : glorifier les troupes d’élite SS. Certes, ce n’est pas ce qui est fait, mais uniquement par égoïsme de camp vainqueur, interdisant à autrui ce que l’on s’accorde – la grandeur d’âme est ailleurs… Je suis ulcéré quand j’entends déclamer et répéter que nos pauvres poilus ou pilotes français d’alors sont morts pour la liberté. Quelle liberté ? Si l’on n’avait aucunement résisté en 1914, peut-être que je parlerais allemand, en quoi est-ce une horreur quand les occitans et bretons sont eux tenus de parler français ? La république française s’est d’ailleurs avérée une dictature (en clamant bien sûr l’exact contraire) : l’opinion personnelle sceptique est punie de deux ans de prison et de ruine, les humains souhaitant venir vivre ici sont chassés par la force s’ils n’ont pas les arbitraires autorisations administratives, généralement refusées.
    Au lieu de célébrer les téméraires pilotes de l’Aéropostale, bravant la mort pour réussir un mois avant la concurrence allemande, j’aurais préféré remercier le sage pilote militant pour une coopération entre les concurrents franco-allemands (plutôt que vouloir la ruine de l’autre camp) ; il serait mort dans le premier vol binational, perturbé par les barrières linguistiques, mais montrant une lumineuse voie d’amitié (à parfaire d’urgence) qui aurait pu éviter la guerre suivante, les horreurs, les millions de morts… Je rêve, oui, et je vomis quand je vois la propagande encore actuelle, le chauvinisme sportif (ou culturel), unanime dans les médias et cercles de pouvoir (et quand on nous parle de l’Europe, ça ne fait que déplacer le problème en excluant les non-Européens, et sans renoncer à la sur-représentation européenne aux sièges de pouvoir à l’ONU : 60% des droits de veto pour 10% de la population mondiale). Ce livre souffle dans le sens du vent dominant, et il se trouve qu’en matière de patriotisme dominateur, je suis profondément choqué.

Objection à la gloire des pilotes :
    Si le pilotage aérien avait été interdit, pour raison de sécurité (principe de précaution) ou raison religieuse (respect de la Création), l’Histoire de l’Aviation serait partiellement différente, partant des pétards-fusées chinois antiques aux avions modèles réduits contrôlés des années 1850 (totalement ignorés par le sommaire de ce livre), puis interviendraient la traversée des mers et océans avec pour charge un appareil photo, les avions de guerre télécommandés, les hélicoptères de travail aérien à bras articulés, peut-être les cabines automatiques de passagers sans fenêtre, les fusées supersoniques lanceuses de satellites, etc. En terme utilitaire, la même œuvre aurait été accomplie, peut-être décalée dans le temps. Les pilotes n’auraient servi à rien du tout (leur mise en danger de mort, et décès effectif pour beaucoup, était inutile). Les personnages marquants seraient les inventeurs et metteurs au point, l’Histoire des avions aurait un prestige voisin de l’Histoire des machines à laver.
    Mais se mélange à cela le mythe de l’homme-oiseau (aussi inutile et plaisant que de marcher sur la Lune), contrôlant lui même son propre vol sans aide, et cela passe par les pilotes, d’accord, mais cela devrait aboutir à la ceinture fusée individuelle à décollage vertical (1958), pas traitée dans ce livre car peu médiatisée (non associée à un pilote célèbre), et maintenant au très populaire parapente des collines (pareillement ignoré ici).

Tout s’éclaire :
    L’histoire du vol humain pourrait traiter de : 1/ cerf-volant et parachute ascensionnel, 2/ montgolfière et dirigeable, 3/ planeur et avion, 4/ hélicoptère et fusée, en 8 sous-chapitres équilibrés. Non, un seul monopolise presque tout : l’avion, remplaçant le dirigeable. Pourquoi ? Etre « plus lourd que l’air » n’a rien de nécessaire en soi, et s’avère relatif : un aéronef monte (ou reste en l’air) si et seulement s’il peut avoir une force ascensionnelle supérieure à son poids, que cette force soit statique (gaz léger, vide) ou dynamique (portance, poussée) n’a en soi aucune importance. Non, il ne faut surtout pas réfléchir, il faut acclamer… pour des raisons qui nous échappent. Pourquoi, pourquoi remplacer les dirigeables ? La réponse a surgi de mon cerveau comme une illumination : les bombardiers dirigeables étaient très vulnérables aux canons antiaériens, et il fallait donc impérativement plus petit et plus rapide. Là semble le point clé. Le reste n’a été que de la propagande apparemment, faisant applaudir et rêver les foules naïves, comme pour l’homme sur la Lune cachant les travaux sur les missiles atomiques…
    Bref, ce livre ne me semble pas du tout une Histoire de l’aviation objectivement admirable, mais un intéressant aperçu de ce qu’a pu être la manipulation mentale opérée via le star system, cas de l’aviation. C’est… distrayant, et troublant, non impressionnant. A mon avis, les « vrais » héros de l’aviation n’existent pas (ou sont morts ignorés, pompiers humanistes)…
    On me rétorquera évidemment qu’un livre d’Histoire n’a pas à suivre un anachronique point de vue partisan, et ultra-minoritaire qui plus est, mais doit simplement relater des gloires d’époque. Certes, et il aurait fallu le dire : non pas « admirez ceux-là », mais « ceux-là ont été admirés », pris comme idoles par des propagandes condamnables.
    On me répondra, alors, que mon pacifisme mondialiste constitue un anachronisme ridicule vis à vis des années en question. Je ne suis pas d’accord : si les Chrétiens avaient écouté Jésus (du moins sa Parabole du Bon Samaritain), si les communistes avaient écouté Marx, (plutôt que les manipulateurs parlant en leur nom pour obtenir le pouvoir d’écraser), ils auraient été des naïfs idéalistes un peu comme moi, avant même ce siècle de naissance de l’aviation. Un détournement sévère et dramatique a été opéré, en excitant les foules à applaudir (féliciter les dominateurs de concurrents, ou les candidats à ce poste)… au lieu de réfléchir chacun par soi-même. Même si cela était établi historiquement, cela n’a pas de raison de continuer, et prendre conscience des enjeux cachés paraît éclairant, éveilleur d’intelligence critique.

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    AUTRE SOURCE (ajout 24/09/2010)

    J’ai lu un autre livre, similaire : « Les héros de l’Aviation Française de 1919 à 1939. Les années de gloire de l’entre-deux guerres » (par Serge Pacaud, Editions CPE Communication-Presse-Edition, collection Reflets de Terroir). Ce livre qui m’a aussi été offert par mon père historien confirme pleinement mon jugement sur l’ouvrage de Bernard Marck, mais il l’enrichit d’éléments non anodins. A priori, il est basé sur des cartes postales d’époque, cite des journaux et chansons d’époque, tandis que le ton de l’auteur est dans le même esprit, suranné vu d’aujourd’hui, correspondant au terme « terroir » de la collection, d’accord.

* Episode Lindbergh
    La gloire immense de Lindbergh (le Vainqueur de l’Océan Atlantique) en 1927 me paraissait incompréhensible dans la mesure où (les livres de détails aéronautiques m’avaient révélé que) Alcock et Brown avaient effectué dès 1919 la « première traversée sans escale de l’Atlantique », dans une relative indifférence.
    J’ai appris dans ce livre la différence de taille : Lindbergh était franc-maçon, financé par les loges maçonniques américaines. Ceci explique, me semble-t-il, la puissance médiatique centuplée et la mise en scène publiciste drainant les dollars pour faire de cet aviateur-là un millionnaire.
    Certes, Lindbergh a joint New York et Paris, non plus l’Irlande et Terre Neuve, mais des escales ne sont en rien un obstacle pour populariser les voyages long-courriers, et les « héros » Français qui ont suivi, célébrés à grand cris pour avoir été nos premiers compatriotes à avoir franchi l’Atlantique (Assolant, Lefèvre, Lotti), ont en 1929 atterri sur une plage déserte d’Espagne, ceci n’ayant donc rien à voir avec la préfiguration de plaisants voyages inter-cités pour passagers.
    Par ailleurs, j’ai découvert avec sympathie qu’après Hiroshima, Lindbergh a avoué se demander si l’essor de l’aviation avait été une bonne chose. Je trouve ce sentiment très lucide, contraire à la parole unique ambiante (tant au niveau du grand public que du milieu aérophile). Même si l’essor des fusées automatiques aurait pu amener la même hécatombe, certes.

* Episodes de raids héroïques
    C’est l’essentiel de ce livre, multipliant – sans ironie aucune – les mots de héros, gloire, grandeur, bravoure, exploits, progrès, patriotes. J ‘en ai déjà discuté au sujet de l’ouvrage précédemment examiné : cela m’évoque seulement une propagande outrancière, que l’on retrouve de nos jours dans le sport de compétition (football, natation…) ou les défis mortels (traversée pieds nus de l’Antarctique, escalade sans corde du plus haut gratte-ciel…).
    Toutefois, ce livre ajoute de judicieux éléments critiques (d’époque) sur la célèbre Aéropostale (avant de les oublier pour ne retenir que la gloire) : le caractère extrêmement déficitaire, sponsorisé à perte, pour le transport aérien de courrier. C’était économiquement intenable, et cela tuait des aviateurs (classés « héros immenses ») seulement afin de transporter – un peu plus vite que la concurrence étrangère – du courrier sans aucune urgence vitale. A mes yeux, c’est incompréhensible sans propagande aveugle, ou sensationnalisme journalistique absurde.
    Un mot dit en passant dénote encore plus et m’a intéressé, au sujet de Louis Blériot : « il désapprouvait les efforts de propagande qui tendaient à lancer la jeunesse sur de trop fragiles nefs (…) il ne cessait de rêver d’une aviation qui n’eut pas tiré sa prospérité de la préparation à la guerre. ». Cela relativise, ou « casse », le reste du livre, le titre parlant de héros, le sous-titre parlant de gloire.
    L’éditeur semble l’avoir perçu car la phrase finale du livre, pertinente je crois, est illisible, mystérieusement écrite en gris (après tout le reste en noir) sur photo noir et blanc colorée (après tout le reste sur fond blanc ou beige uni). Je crois deviner les mots : « L’aviation, qui devait œuvrer pour le bonheur des hommes, n’avait que contribué à leur perte ; à la fin de leur vie, des hommes (…) Blériot, Lindbergh, à leur grand désespoir (…) ». Eh oui… Mots à cacher pour ne pas briser le « charme », la lucidité fait mal, un éditeur doit plaire au public, faire réfléchir n’est (généralement) pas son rôle.

* Episode avion de tout le monde
    Un autre épisode intéressant est le très méconnu développement (sans succès) d’aviettes (ancêtre des prototypes à vol musculaire) avant de se rabattre sur les avionnettes (ancêtre des Ultra Légers Motorisés).
    Des journaux d’époque analysent aussi avec pertinence le caractère peu crédible de « l’avion de tout le monde » (chacun devenant pilote), et signalent que les investissements étatiques conduisaient à faire financer par le peuple un loisir de la caste fortunée. Bien vu, merci de l’avoir cité.

* Episode juste avant la 2e guerre
    Une comparaison étonnante est faite entre bombardier aérien et cuirassé marin, chasseur aérien et torpilleur marin : des lourds inattaquables seraient opposés à des rapides irrattrapables. C’était un manque de clairvoyance à court terme (les batailles aériennes 1940-45 décimant bombardiers comme chasseurs), d’accord, mais aussi sur le long terme, les missiles permettant le tir à distance et l’hyper-vélocité bien au-delà du domaine « avion ».
    Encore plus surprenant : un aveuglement majeur apparaît dans une citation des années 1930, expliquant que le bombardement de cités civiles est bien sûr impossible car ce serait là un acte barbare, que ne pourrait accomplir qu’un perdant poussé dans ses derniers retranchements… Le drame de Guernica, les bombardements de Londres, allaient faire s’effondrer cette évidence naïve, certes, mais le retournement a été encore plus profond : les exterminations alliées comme Hiroshima et Dresde, massacreuses de bébés et vieillards, ne sont classés ni en crimes de guerre ni en crimes contre l’Humanité que pour la « bonne » raison que c’est notre camp vainqueur qui les a accomplis – c’est atroce à mes yeux, cette propagande. Faisant de notre camp un camp du Mal comme un autre.
    Cela ramène à la question de Lindbergh et Blériot âgés : au lieu de hurler à la gloire de prétendus héros, il paraît clairvoyant de peser le contre énorme et le pour minuscule, en ce qui concerne l’essor vertigineux des avions au vingtième siècle (par rapport aux dirigeables joignant les continents pareillement, en faisant perdre quelques heures, cela valait-il des centaines de milliers de morts ?). C’est comme pour la fabrication du pain : c’est mieux de ne plus requérir trois heures mais seulement trois secondes, toutefois… si passer de l’un à l’autre tue quantité de candidats-boulangers téméraires aux frontières de l’impossible, il peut sembler inapproprié de les applaudir sous les acclamations : cela me paraît malsain (pour les supporters), criminel (pour les organisateurs), mercantile (pour les journalistes), maladif (pour les amoureux du danger mortel).