UN LECTEUR GRIMAÇANT répond à « UN LIBRAIRE EN COLÈRE »
par cmeunier à infonie.fr, 01 Octobre 2011

  Je cherchais un livre publié avec un titre simple, critiquant le bien médiocre ouvrage “indignez-vous!”, mais (avec les médicaments ?) j’avais oublié ce titre. Le gentil libraire de ma petite ville m’a dit qu’il y avait aussi l’inusuel ouvrage « un libraire en colère », qui mentionnait pertinemment le célèbre livre « indignez-vous ! », son succès étrange et contesté. Et j’ai parcouru quelques pages, partiellement déplaisantes (enfin : appelant objection, de manière intéressante), puis j’ai acheté ce livre-là, pour en découvrir la logique (et la contester éventuellement). Pour également en parler (peut-être) à ma professeur de Français perdue de vue, G.C.Bories (m’ayant conduit au Concours général de Français puis Bac de Français en 1980). Avec Internet et les recherches Google, citer son nom pourrait renouer le contact.

I – Pages de E. Delhomme sur « Indignez-vous »
II – Ma contestation de la Culture Française
III – Lecture du reste de « Un libraire en colère »
Bilan
I – Pages de E. Delhomme sur « Indignez-vous »
  Le libraire Delhomme se moque des lecteurs innombrables de ce petit livre peu cher, dirigés vers lui par la télé sacrée, et qui font semblant d’appartenir au monde des lecteurs, de la Culture, de tous les débats. Faisant semblant de jeter un œil au reste du magasin, ils auraient pu l’acheter en grande surface, sur Internet ou pas du tout. « On n’achète pas cet opuscule pour son contenu, mais simplement pour faire comme tous les autres, faire partie du clan. Ceux qui savent. »
--> Je ne suis pas d’accord :
I.1– Le contenu de ce livre « Indignez-vous ! » de Hessel mérite discussion, et peut bouleverser la pensée dominante (dont Hessel fait partie en prétendant le contraire). Apparemment, le libraire en colère n’a pas davantage de recul que ceux dont il se moque. Noter les débats qui manquent à ce livre prétendu recenser les motifs d’indignation serait explosif, pas du tout anodin et convenu.
I.2– Que des idées soient peu chères, et populaires de ce fait, n’a rien d’infamant : le monde d’Internet contient des pensées logiques et graves, gratuites, interdites de publication, ou punies de prison car ne respectant pas les dogmes officiels (en plus des supériorités institutionnelles). Le libraire en colère a oublié de dissocier idées et commerce, c’est triste. Et Internet ne « tue » pas le métier de libraire, celui-ci étant très utile pour des conseils et recherches difficiles.
I.3– La notion de savoir abusif est intéressante, mais je doute que l’auteur pense comme moi à ce sujet. Je crois qu’il s’agit d’un jeu de mot faisant fièrement passer pour vérités des thèses facultatives. A tort, presque toujours. Et… amoureux des livres : inclus. (Ceci dit, je ne dénie pas le « savoir-faire », tel celui d’un libraire performant à trouver l’ouvrage que l’on cherche, ou à susciter une curiosité qui sera applaudie a posteriori.)
I.4– Le caractère suiviste des gens est regrettable en un sens, mais sa contestation va immensément plus loin que le problème de la librairie, et les débats interdits sont en France punis de prison, avec vote unanime au nom du peuple non consulté sur ces questions (ce dont Hessel a omis de s’indigner, sans surprise hélas). L’éducation publique imposait (de mon temps) la soumission à l’autorité, le scientisme, le nationalisme. Le martèlement télé unanime conforte l’endoctrinement nationaliste/ hiérarchique (en jurant le contraire) et ajoute un endoctrinement sioniste/consumériste. S’en défaire est difficile, souhaitable je pense, impossible peut-être (sauf à partir vivre ermite dans un ravin de montagne, en mangeant des racines ou crevant de faim)…

II – Ma contestation de la Culture Française (j’explique ci-dessous "ma réaction ci-dessus")
  A quinze ans et demi, seize ans, drogué par médicaments psychotropes à haute dose, je n’étais pas lucide. J’ai avalé en cours de lettres « les auteurs au programme », et commenté leurs écrits de manière jugée satisfaisante (voire brillante). J’aurais pu devenir, comme mon camarade « Pascual dit Pascal », un grand amoureux des livres, comme ceux du clan Delhomme (le vrai clan, pas celui où prétendent s'inclure les acheteurs de "Indignez-vous !"). Aujourd’hui avec le recul, je conteste cette approche mangeuse de livres frénétique :
II.1– Je suis choqué par l’aura des « érudits » se dispensant de réfléchir pour prétendre incarner l’intellect à citer des auteurs célèbres, monopolisant le monde éditorial qui fait obstacle aux penseurs apportant des idées nouvelles révolutionnaires. Ce n’était pas dit ainsi en classe de première (« année "littéraire" même pour les scientifiques »), mais c’était explicite l’année suivante en cours de philosophie : pendant des vacances, nous avions à lire sous la contrainte un livre célèbre, et le prof Monsieur U. a demandé ensuite « qu’en avez-vous pensé ? » avant de traiter de « petit con ! » mon camarade de classe Stéphane P. qui avait répondu « j’ai pas aimé… ». Lourde erreur du prof à mon avis. J’ai ainsi démontré l’illogisme total du Discours de la Méthode fondant la prétendue logique cartésienne, mais « à la maison », devenu travailleur manuel, j’avais déjà eu le Bac heureusement (avec 17/20 en Philo, hum) : il est interdit de penser, d’écrire par soi-même, il faut seulement admirer avec brio « les grands hommes » (et « les femmes célèbres »), sans droit à contester cette grandeur prétendue. Mon (premier) manuscrit, envoyé sans préciser mes origines, n’a reçu aucune réponse des éditeurs français, aucune, seul un éditeur monégasque m’expliquant son refus ; « c’est beaucoup trop logique, imparable, ce n’est pas ça le monde des livres. » Comme un enterrement, de la pensée. On m’avait trompé à l'école, faisant croire au triomphe du mérite des idées et démonstrations. Après, un faux éditeur m’a racketté, puis trois imprimeurs ont fait de même (à « compte d’auteur »), puis un auto-éditeur m’a censuré en expliquant qu’il ne faut pas écrire ce qui peut fâcher quelqu’un… Triomphe du bla-bla pompeux (célébré) sur la pensée dérangeante (étouffée).
II.2– Avec l’émergence d’Internet, on découvre que des milliers de gens « écrivent » ou « dessinent », bien loin de la prétendue Elite le faisant à titre professionnel avec piston promotionnel (il ne faut pas parler de lobby, c’est puni pour crime d’antisémitisme). Dans le domaine des dessins d’avions-fantaisie, mon hobby, j’aimais découvrir ces inventions (d'anonymes) cocasses ou riches d’idées nouvelles, plaisantes, alors… en quoi les « admirateurs de célébrités » auraient-ils eu une quelconque supériorité ? Je ne suis pas du tout d’accord. Les subventions politiques françaises à la « Culture » (ce que les Américains nomment « divertissement », entertainment) vont dans le même sens : « allez applaudir les créateurs-répéteurs "pro", tous admirables, ne créez surtout pas vous-même, sacrilège ! »…
II.3– Mes parents m’ont fait étudier le Latin, « pour être dans une bonne classe »… Je n’en ai rien retenu du tout, que des haussements d’épaules (j’ai eu 18/20 au Bac en pointant l’usage grammatical rare du « supin en u » dans le texte qu’on me faisait traduire et « analyser »…) Avec le recul, c’est bien plutôt l’enrichissement procuré par la découverte des langues anglaise (américaine), russe (moderne), japonaise, finnoise, illongo, qui m’amène à la logique en matière de langue. Je conteste la prétendue « beauté » de la langue française. Pourquoi faut-il huit ans de torture orthographique et grammaticale pour percevoir une beauté dans les idées écrites ? En finnois, l’orthographe n’existe pas, et j’ai inventé une orthographe ainsi transparente pour le français, apprenable en deux minutes pour les mal-formés de ma génération, en un an de classe maternelle pour les enfants (simple alphabétisation). Eh bien non, les vieux entendent dominer avec leurs montagnes d’exceptions idiotes imposées avec bâton et carotte, en regrettant les quelques exclus du système, et en se dispensant de réfléchir aux maux graves de ce monde, aux jeux de mots torturant ("fous") ou tuant ("juifs") des millions de gens… Les plus jolis romans américains sont traduisibles en français, même si des « élitistes » là-bas trouvent que cela mutile ce qu’eux trouvent très magnifique, en fait : artifices creux – faisons pareil de notre côté sans enseigner ces artifices « de style » (et si les livres américains sont plus jolis en langue originale, effectivement, c’est que nos traducteurs sont des pseudo-littéraires méprisant la langue populaire, en mettant des passés simples partout, pour faire disparaître la langue parlée d’origine). Il y a certes le cas des jeux de mots ou ambiguïtés orales intraduisibles, mais c’est seulement le signe d’une langue pourrie, préférant ses traditions sacralisées à une clarification au bénéfice de la précision. Mes ouvrages et sites, invalidant la pensée dominante, seraient traduisibles en n’importe quelle langue, dont le français petit-nègre et l’orthographe-« débile » de Patricia (ma copine imaginaire), mais non, chut : les livres sont là pour renforcer l’ordre social de fiers verbeux dominant les travailleurs, d’échangistes sidaïques prétendant incarner l’amour en faisant enfermer ou mourir les romantiques en larmes. Ce monde des livres est atroce.
II.4– Mon éducation à l’école publique ne m’avait jamais amené à lire la Bible. Je l’ai lue à l’âge adulte, et j’en conclus (a posteriori) que la totalité des auteurs français anciens, oubliant d’en dénoncer les horreurs (alors dominantes), étaient idiots ou malhonnêtes. Pas « des grands hommes », pas du tout, non, mais des pourris alliés au système, ou aux pourris candidats à nouvelle domination injuste. C’est encore la situation actuelle semble-t-il, mais moins officiellement (seuls le tabou sioniste et l’expression « racisme et antisémitisme » traduisant la domination judéo-chrétienne, ne dénonçant nullement l’Israélite Jésus ayant clamé que « les non-Juifs sont comme des chiens »). Avec Internet, le monde des livres privilégiés s’éteint, et je ne le regrette pas vraiment. En un sens, ouf, je n’ai pas été embrigadé par le système, avant « devoir de solidarité » (ou de « réserve ») pour approuver ces mécanismes.

III – Lecture du reste de « Un libraire en colère » (pour comprendre la logique éventuelle)
III.1– Delhomme regrette que les écrans remplacent les livres.
--> Je ne suis pas de cet avis. D’accord pour rejeter la télévision, dont la propagande unilatérale m’irrite (j’ai été particulièrement outré par le traitement unanime de Durban2), mais Internet est tout l’inverse : un champ d’exploration où le spectateur est acteur, chercheur, contestataire avec autant de poids que l’émetteur d’endoctrinement éventuel, c’est un total retournement, mieux que le livre (à lire passivement sans droit de réponse). Espérons que Delhomme le comprenne plus loin, j’espère que cette digression contre les écrans était un défaut d’expression parlant exclusivement de la télé.
III.2– Partout, Delhomme cite des livres et auteurs qu’il juge célèbres, dont la référence le classe en tout cas comme connaisseur.
--> On retombe au grand drame des érudits (selon moi), qui s’estiment supérieurs car capables de citer plein de livres et d’auteurs, se dispensant dès lors de réfléchir par eux-mêmes. Je trouve cela affligeant. Enfin, si c’est comme un collectionneur de papillons qui raffole d’énoncer les méconnus noms latins des petits animaux, c’est effectivement bénin, mais ça ne m’intéresse personnellement pas. J’espère que Delhomme va changer d’approche, pour intéresser (si telles et telles idées géniales lui ont été apportées par des livres, très bien : qu’il énonce ces idées géniales et non le titre ou le nom d’auteur – repoussables en notes en bas de page ou fin d’ouvrage).
III.3– Delhomme déplore que la lecture commandée par les enseignants soit vécue comme une souffrance, les enfants (par ailleurs mauvais en orthographe) étant hélas soutenus par leurs parents (télévores) en colère contre cette torture livresque.
--> Attention, il ne faut pas tomber dans l’excès inverse, celui que j’ai connu (dans une famille enseignante) et que je déplore. A l’école primaire, il était obligatoire d’apprendre des poésies d’auteur par cœur, sous peine de punition, et cela m’a totalement dégoûté de la poésie, je trouvais absurde l’affirmation (de mes parents et grands-parents) que cela était beau. Cette contrainte scolaire était en fait totalement inapropriée (pas du tout un "partage de grandeur"), et j’ai redécouvert la poésie à 14 ans (feuilletant solitaire le livre de Français entre deux cours), comme moyen splendide d’expression de sentiments nouveaux – la beauté était dans le contenu, l’idée (traduisible en une autre langue), nullement dans la forme, le nom d’auteur célèbre, le guidage enseignant. Attention, Delhomme, n’agite pas la gloire de tes références sans avancer d’idée, cela n’a aucune force de conviction. Plus généralement, cela rejoint le problème de l’art : je ne donne nullement tort à ceux que méprise la prétendue Elite, qui avouent que tel machin dit chef d’œuvre est moche, nul ; se gargariser de milliers d’interprétations auto-satisfaites est un jeu comme un autre, mais pas un facteur objectif de supériorité (même si cela cause supériorité sociale dans cette société pourrie, qui exploite le travail pénible ici ou l’exporte en Chine en tirant tout le bénéfice commercial avant que ça nous explose à la figure). A quatorze ans et demi, j’ai avalé sur commande trois cents pages d’un roman qui ne m’a pas intéressé, et après quatre heures de cours de Français faisant discourir et se répondre les admirateurs, sous les applaudissements professoraux, j’en suis resté à mon sentiment : « ça m’intéresse pas, ce bouquin là, c’est pas parce que c’est prétendu un grand livre que c’est bien ». Idem pour l’orthographe, inutile stupide « militaire » (obéir, vénérer l’autorité), scandale pseudo-intellectuel. Delhomme parle à mes parents, jusqu’ici, sa force de conviction vers moi est nulle. J'ai inventé (en écrivant une nouvelle imaginaire) le cours faisant aimer la poésie, écrire avec émotion de la poésie, je n'ai jamais reçu ce cours, jamais, le principe n'en était même pas concevable à l'école républicaine vénératrice, "à la Delhomme".
III.4– « la relation d’une lecture à un ami, ces moments délicieux de partage du plaisir. »
--> Je ne comprends pas : prenons le parallèle de la musique – en quoi un ami disant qu’il a adoré tel morceau (lui donnant des frissons ou quoi) me procure-t-il quoi que ce soit ? Si je n’ai pas lu le livre (pas entendu la musique), c’est vide de sens, ou ça rappelle la publicité vendant douteusement du plaisir-assuré ; si au contraire j’ai lu le livre (ou entendu la musique), ça n’apporte rien ou presque (qu’une réponse « moi aussi », ou « moi différemment »). Bof. Pas besoin de livre du tout, on dit pareil du cinéma : « c’est super, vas le voir ! » pouvant déboucher sur « ah ouais, bien » ou « nul, moi j’ai pas du tout aimé ». Le cinéma a d’ailleurs ruiné l’aura imméritée des romans : souvent, une histoire émeut par son contenu, ce n’est nullement le papier ou le verbe qui en sont le secret (dans le livre de départ, mis à l’écran). Les verbeux littéraires me semblent surtout faire obstacle au sentiment – dans les traductions françaises d’un film américain des années 1970, les personnages modernes parlaient comme dans les livres, à l’ancienne (« ne… point », « ne… guère »), ce qui gâche la crédibilité de ces personnages, empêche de partager leurs sentiments. Delhomme semble l’un de ses « littéraires », dominateurs parasites… au nom du Beau, à tort prétendu objectif (« Elitiste » c’est à dire auto-affirmé « supérieur »).
III.5– Delhomme traite de con un chirurgien fier de ne pas lire un seul roman.
--> Il y a là une cascade de lieux communs, sous-entendus et contestables : A) Un chirurgien serait normalement un grand homme (je ne suis pas d’accord, les études de médecine sont réservées aux réciteurs décérébrés exempts d’esprit critique – je m'en suis enfui en courant). B) Pour ne pas être con, il faudrait lire (je ne suis pas d’accord, il vaut mieux écrire, comme un auteur-compositeur en musique me paraît plus estimable qu’un interprète ou fan). C) L’accusation d’être « con » serait une sévère claque (je ne suis pas d’accord avec ce mot confus, qui regroupe des handicapés éventuellement merveilleux par certains côtés, des menteurs abjects et des méchants affreux, des méprisants à tort comme Delhomme lui-même).
III.6– Delhomme, un jour sans client, regarde les gens dans sa rue, près des Champs-Elysées, tous en cravate et en technique, téléphone portable « téou ? », pour des décisions qui vont changer le cours du monde, vivant dans une bulle, « le tout-à-l’écran ».
--> C’est triste, que la seule critique porte sur « écran ou livre », dans ce microcosme. Vu de ma campagne, avec mon travail manuel, je dirais au contraire que ces bourgeois en cravate sont des voleurs ne méritant nulle respectabilité, parasites dangereux pouvant ruiner des travailleurs de peine en gagnant eux des fortunes sans effort, imméritées, vol légal avec lois pourries. Qu’ils s’arrêtent ou non à la librairie, vénèrent ou non le libraire, cela passe complètement à côté du problème social (et géopolitique à plus grande échelle), Delhomme devrait pratiquer l’autocritique de son milieu au lieu d’escompter en rester le chouchou côté loisirs. Quand à l’expression « t’es où ? », je répète ici que le traditionalisme grammatical me paraît affligeant, comme l’imparfait du subjonctif, on devrait favoriser au contraire la simplicité, tout revoir en ce sens, au profit des enfants nouveaux arrivants, et tant pis pour la génération sacrifiée – qui pourrait se mettre très facilement à la langue simplifiée si elle n’exigeait pas (à tort) de rester dominante pour sa haute maîtrise en matière de pièges inutiles… Il paraît qu’au Moyen-Age, la langue sans fioritures ampoulées était insultée comme « langue des femmes », vil outil utilitaire au lieu de l’instrument de domination sociale escompté – réveiller cette lecture serait pertinent je crois, au contraire de Delhomme.
III.7– Delhomme, pour ne pas effrayer les passants pouvant entrer dans sa librairie, promet que jamais, il ne leur demandera le titre de leur dernière lecture.
--> Delhomme fait là semble-t-il un effort sur lui-même, pour dire « même si vous êtes coupables de ne pas vous souvenir du titre de votre dernière lecture, remontant trop loin dans votre passé, je ne me moquerai pas de vous, allez, je tolère cela ». Je ne suis pas d’accord avec cette position de base (version tolérante comme intolérante) : l’important exclusif de toute lecture ou tout film ou autre, ce n’est nullement le titre mais les idées ou sentiment que cela a généré en nous. Ce n’est que dans le milieu de Delhomme, où les lettrés se jettent des titres à la figure pour se surpasser en « mérite » que les valeurs sont telles. Il s’agit à mon avis de fausse supériorité.
III.8– Delhomme se félicite d’avoir parmi ses clients 80% de femmes, aimables : extraverties. « elles veulent rêver d’une autre société », « elles veulent fuir cette réalité ».
--> L’expérience que j’ai est totalement inverse : un homme rêveur et des femmes réalistes, terre à terre (pour la sauvegarde des enfants, peut-être arrière-fond instinctif). Et mes goûts sont inverses de ceux de Delhomme : je préfère assurément les féminités introverties, qui écrivent éventuellement, dégoûtées de ne pas trouver dans les livres ce qu’elles cherchent (toutes mes héroïnes imaginaires fonctionnant ainsi, en tout cas).
III.9– Delhomme rencontre un client de 19 ans, intéressé par ses conseils, et qui lui avoue une autre fois écrire aussi, jeter beaucoup de pages à la poubelle, Delhomme l’encourage. « Pourquoi lire ? (…) Pour être moins con ». Delhomme veut que la lecture, le livre, soit remboursé par la Sécurité Sociale.
--> Il y avait là les éléments pouvant illuminer Delhomme, mais il semble avoir raté le coche. J’aurais conclu en sens inverse : lire (ou voir des films) peut aider à trouver des idées, mais écrire est mieux – comme entendre une chanson peut plaire mais inventer une chanson est plus enrichissant. Ecrire peut même être médicalement lumineux en procurant l’auto-cicatrisation pouvant sauver une vie, loin des écrits de psychiatres perdus dans la multitude des cas (lus avec leurs certitudes douteuses) ; et au lieu de la paperasse à l’ancienne, de pages jetées, l’écran permet la correction multiple rapide et propre, c’est un immense progrès. Au lecteur-mangeur qui gobe ce qu’on lui donne, je préfère le cuisinier qui trouve des inventions en saveurs. Chacun ses préférences, je préfère les miennes. Lire n’apporte que rarement en soi, je trouve que le principal intérêt consiste à contester ce qui est marqué : déceler les incohérences, les affirmations contestables (donc à prétention erronée de vérité), inventer une autre fin aux romans, etc. C’est une activité de loisir comme une autre, comme le jardinage, ni plus ni moins (ou avec quelques plus, quelques moins), une activité de temps libre (libéré des tâches parentales éventuelles, au détriment des enfants éventuellement, attention pour moi quand je deviendrai père).
III.10– « La tentation est grande d’en freiner un (…) Lui demander s’il a lu Valery Larbaud ou le dernier essai d’Alain Finkielkraut, s’il sait lire, s’il voit, s’il me voit ou si ça n’est qu’un rêve ou si je suis son cauchemar. »
--> Atroce ironie. Là je suis à deux doigts de refermer le livre. C’est la conjonction de deux horreurs philosophiques pour moi presque insupportables. Côté philosophie politique : Delhomme est super fier de compter les lecteurs de Finkielkraut, il ne lui vient absolument pas à l’idée de contester ce célèbre faux-penseur déclarant l’antiracisme antisioniste (Durban, Durban2) plus grave que le néo-nazisme, non il s’agit de « lire » les célébrités, surtout pas de penser par soi-même – je suis choqué et dénie toute pertinence intellectuelle à ce libraire là. Je précise que je suis Juif et circoncis, pas antisémite, le mot Juif est un jeu de mot atroce, cachant les coupables derrière des innocents, mais chut, il ne faut surtout pas l’écrire dans les livres –– les gens risqueraient de comprendre, de contester la propagande quotidienne pour Israël (contre le retour des expulsés palestiniens chassés pour cause de « sale race »). Côté théorie de la connaissance, Delhomme n’a absolument rien compris au cataclysme logique qu’apporte l’hypothèse du rêve, qui n’est nullement prétexte à dire n’importe quoi comme ici pour classer les silencieux en fous ahuris, mais s’avère la clé pour démolir l’intégralité des dogmes, notamment psychiatriques. Ce n’est pas en demandant à autrui si le monde présent est un rêve que l’on est plus avancé : dans un cauchemar, autrui-apparent peut jurer que ce n’est pas un rêve, et cela ne prouve rien. Quant à dire que autrui me rêve, cela n’a pas de sens, puisque la question ressentie se pose en moi (autrui – s’il existe – a raison de se la poser aussi, mais s’il pense que je suis une image en fait dénuée de pensée, il se trompe). Non, Delhomme n’a nullement réfléchi à ce sujet ultra-majeur, totalement interdit de publication en France, et refusé même à Monaco. Le monde chéri des livres de Delhomme me déplaît fortement.
III.11– Delhomme soupire au sujet des émissions de télé consacrées aux livres, semblant dire que ça ne remplace pas du tout la lecture.
--> Le plus grave me semble être que la télé « littéraire » se base sur trois principes enlevant tout intérêt à leurs propos : le star system, le politiquement correct, la supériorité des admirateurs (ébahis ou prolixes) sur les refuseurs (par goût ou par démolition argumentée).
III.12– Delhomme se moque du faux amateur de livres (pour séduire une jeune femme) qui craint de devoir étaler sa culture, qu’il n’a en fait pas.
--> Comme d’habitude, je ne suis pas d’accord : cela sous-entend qu’avoir une grande culture, une capacité à citer des tonnes de titres et auteurs, constitue un juste pouvoir de séduction. Pourquoi ? Quelle différence avec un grand mangeur de pommes pouvant citer des centaines de variétés ? Chacun son truc… Les filles endoctrinées par l’école semblent mal guidées, injustement, pour que les verbeux improductifs aient le choix parmi les plus mignonnes. Affreux.
III.13– Delhomme en remet une couche, quant aux hommes non intéressés par les livres, les livres n’intéressant que les femmes, qui disent implicitement « A eux le sexe et le football, à nous les plaisirs les plus raffinés, la volupté, le rêve, et les tourments psychologiques. »
--> Delhomme me traite donc de femmelette et je lui crache au nez en retour. S’il était lucide, il constaterait que les femmes généralement aiment les hommes virils bruts et pas les romantiques doux (logique bestiale conduisant à préférer les géniteurs d’enfants forts), alors : qu’elles assument les maltraitances qui découlent de ce choix. Il y a des hommes doux et rêveurs, anormaux, il y a des femmes qui les aiment, anormales, ceux-ci et celles-là n’existent peut-être que dans les livres. Mais pas dans ceux que lit le très fier Delhomme, fier à tort – mon sentiment se renforce page après page.
III.14– Au sujet du livre « Indignez-vous ! » de Hessel, Delhomme se moque de « ces critiques littéraires pour lesquels un livre mince appelle des commentaires démesurés. »
--> Une nouvelle fois, je prends ça comme une grande gifle, moi qui ai écrit 14 grandes pages A4 de critiques envers ce livre de 14 petites pages A5. Mais ça n’a rien de littéraire : je me contrefous du style, je ne m’intéresse qu’aux idées : les erreurs et manques graves, signant une malhonnêteté probable ou sénilité éventuelle de Hessel..
III.15– Delhomme parle des représentants d’éditeurs qui avaient des mots et intonations pour faire saliver les libraires, les bouleverser.
--> Apparemment, à supposer que ces personnes auraient été capables de me convaincre, Delhomme n’a pas leur talent. Il n’a pas apporté grand chose jusqu’ici, qu’un manifeste de traditionalisme refusant la diffusion gratuite (et le respect des auteurs rejetés par les éditeurs), sans argument. Je continue quand même.
III.16– « les lecteurs sont maintenant sollicités par d’autres distractions ».
--> Oui et non. Oui : j’apprécie que Delhomme finisse par remplacer, même à regret, son pompeux mot de « Culture » par « distraction ». Non : les livres ne sont pas que des distractions, théoriquement, mais pourraient expliquer la solution simple et non-violente au terrorisme, l’invalidation logique de la science, etc. c’est énorme comme sujet, très majeur pour penser libéré des dogmes modernes, mais… puisque interdit par verrou éditorial, certes, ça ne s’affiche que sur Internet. Donc l’écran vaut mieux que le livre à mon avis. Argumenté par toute autre chose que l’ancienne gloire, indue. Quand est-ce que Delhomme va commencer à réfléchir ? (on a dépassé la moitié des 94 pages du livre, je vais peut-être moins m’arrêter sur chaque idée).
III.17– Delhomme explique que la nouvelle vague, lisant peu, est constituée des 25-40 ans en 2011.
--> Avec mes 47 ans, je ne suis donc pas un des mauvais selon Delhomme. Mais je maintiens qu’il n’a toujours pas compris le grand (et nouvel) intérêt d’Internet par rapport au monde fossilisé des livres, réservés au politiquement correct (déclaré tel par les dominants, et opposants candidats-dominants).
III.18– Delhomme regrette que les gens lisent moins et voient davantage de films à la place, menaçant la simple survie de son magasin.
--> Oui et non. Je ne suis pas d’accord sur la supériorité intrinsèque de l’écrit, du style phrasé descriptif, ces choses là, et je disais plus haut que le cinéma a judicieusement remplacé le bla-bla ampoulé par l’image, mais le livre a trois avantages, je crois : la longueur, le faible coût d’écriture, la liberté d’image. Je m’explique : 1/ un film est une longue cession unique, alors qu’un livre (papier ou écran), genre recueil de nouvelles, peut constituer (gratuitement ou pour le prix d’une séance ciné) un compagnon pour des dizaines de jours, de petits moments agréables, d’attentes renouvelées quant à la suite ou prochaine découverte ; les séries-télé comblent certes l'écart entre ces mondes, mais avec des heures rigides ou programmations vidéo complexes, et un matraquage publicitaire déplaisant. 2/ Par ailleurs, alors que le prix de production d’un film est souvent exorbitant (pour ce que j’en sais, peu familier des téléphones-caméras), n’importe qui peut écrire, à un coût quasi nul. La question des livres publiés et du commerce constitue un peu autre chose, mais ce n’est pas mon sujet à moi. Certes, c’est peut-être pour ça que je n’accroche pas bien à ce livre. Mais, pour devenir intéressant, il faudrait au moins un chapitre sur les critères des maisons d’édition, rejetant l’intéressant pour ne flatter que les célébrités ou bien nés ou quoi. 3/ Avec un livre, roman, on peut – sauf description trop précise – imaginer l’héroïne avec le visage de celle qu’on aime, là où le cinéma nous impose une mocheté pas à notre goût (sauf jolie rare, touchante autrement).
III.19– « on se débarrasse du livre, ça nous fera toujours un sujet épineux de moins, ce qui nous laissera plus de place pour des commentaires sur le foot, la télé, les people. Facile. »
--> Là encore, je ne comprends pas la caricature. Comme si le livre était ennemi du foot et des people… alors qu’il y a des tonnes de livres sur les stars du foot, sur les enfances des people etc. quand les pensées argumentées révolutionnaires sont repoussées avec mépris par les éditeurs, qui excluent cela de leur métier (tout au service des injustices en place – c’est le drame du faux « indignez-vous ! »). Delhomme n’a rien compris à la situation : il manque une case majeure à sa réflexion.
III.20– Delhomme s’explique à demi-mot amoureux de l’actrice Adjani, entrée avec élégance dans son magasin pour parler de livres, « amoureuse de la littérature ».
--> Nous n’avons pas les mêmes goûts, une fois encore. Je trouve une telle personnalité : prétentieuse à tort, j’ai davantage d’estime pour une travailleuse silencieuse, écrivant éventuellement pour elle-même. Ma copine imaginaire depuis 31 ans, classée handicapée mentale (avec le visage de la dernière de la classe quand nous avions 15 ans), mérite mieux que cette dame, à mon goût. (Le drame est que l'humble timide apparente, d'autrefois, soit devenue une fière mangeuse d'hommes, enfermeuse de romantiques pardonneurs, et maintes fois publiée, elle, comme traductrice experte en histoires d'amour...)
III.21– « on ne veut pas se laisser absorber par la masse, on veut rester en marge, garder un œil extrêmement critique sur cette société qui lentement se délite »
--> Je ne comprends pas quelle supériorité est celle de Delhomme méprisant la masse (dont des illettrés arabes de banlieue plus pertinents dans leur position que le fier Finkielkraut, idole des libraires semble-t-il). Et pourquoi Delhomme se prétend-il très critique pour dénoncer que sa société se désagrège sans noter la pourriture de la société précédente ? (dominée par de faux supérieurs, à supposer qu’autre chose soit possible).
III.22– « La société a muté (…) là non plus, il n’y a pas de mémoire ».
--> Attention, ça ressemble là une invitation : « et le devoir de mémoire impose que… ». Je ne suis pas d’accord : les choses antiques ne relèvent pas de la mémoire pour les nouvelles générations mais des racontars par les anciens. S’ils ne sont pas convaincants, leur devoir de mémoire tient de la dictature. Si Delhomme a des arguments, qu’il les donne, l’immobilisme ne serait plaisant que si l’on partait de la perfection – ce qui n’est nullement le cas je crois.
III.23– « Mon métier ne s’accompagne d’aucun compromis, on le fait à fond en y croyant toujours autant. »
--> Je ne suis pas d’accord : le compromis ici consiste à entériner (si ce n’est : approuver) les choix injustes des éditeurs, classant en bien ou mal selon des critères secrets ou inavouables.
III.24– « Croire encore à une société juste et humaine. Me dire que les livres nous sauveront de notre médiocrité »
--> Pas d’accord : la société passée n’était pas juste et Delhomme dénigre « indignez-vous ! » sans rien proposer de mieux. En nous insultant comme médiocres pour quelle faute ? Et en quoi les livres feutrés acceptés par les éditeurs résoudraient-ils les problèmes graves ?

Bilan
  Je n’ai pas perçu la logique de Delhomme qui m’inciterait à revoir mon sentiment initial contre la Culture que chérit ce libraire-là. Il est triste que son métier disparaisse et je respecte ce côté, d’accord, mais pourquoi serait-il davantage épargné que moi par les dures lois de la concurrence obligeant à faire toujours mieux toujours moins cher pour survivre hors misère ? (sauf mécanisme soviétique conduisant aussi à la misère ou/et l’oppression). Son amour des livres me paraît erroné plus qu’admirable :
- Côté essais, il y a de graves problèmes (à solutions simples) qu’ignorent les livres « autorisés ».
- Côté romances, une beauté peut parfois être ressentie mais c’est une affaire personnelle, pas du tout une question de Beauté objective incontestable, contrairement aux affirmations « éducatives » reçues. Que l’on nous ait invité à percevoir la diversité, à comprendre ce qu’aiment certains, n’était pas inutile, mais si la conclusion est « j’aime pas », cela me paraît imparable, respectable.
  Je remercie mon libraire local, peut-être pas en colère mais qui m'a permis de trouver un support pour dire à mon ancienne professeur comment j'ai (à moitié ?) trahi la direction qu'elle nous donnait au lycée.
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Précision (04/10/2011) :
  J'envisage un malentendu si quelqu'un lit les paragraphes ci-dessus et conclut : "ce lecteur-là n'en est pas un : il aurait dû être auteur, et alors il serait bien content qu'il y ait plein de lecteurs/acheteurs/admirateurs." Non, ce n'est pas du tout mon opinion, même potentielle : je désapprouve les auteurs professionnels entendant vivre de leur plume sans effort au service d'autrui (une femme de ménage a davantage de mérite qu'eux à mon avis) ; je pense que chacun pourrait réfléchir, écrire... et lire (ce qu'a écrit autrui) serait une source d'idées parmi d'autres. Tandis que gagner sa vie est tout autre chose, ça implique un effort je crois (car effort mérite réconfort). Donc je maintiens ma position, clarifiée : non à la lecture avaleuse, oui à la lecture critique ou rêveuse, oui à l'écriture personnelle, non à l'écriture professionnelle ; s'il y a support papier, il convient de payer les bûcherons et imprimeurs d'accord et s'il y a conseil pertinent, il convient de payer les libraires d'accord.