« Les guerriers du passé » mis en question (moderne)
Militarisme maquettiste de 1973, vu de 2020
par Bédéphile A.Normalh, 19/01/2020

1/ Contexte
   (J’avais 9 ans en 1973, j’ai 56 ans en 2020)
  Dans les années 1990, j’avais la trentaine et il m’arrivait de regarder, à la librairie, le rayon des bandes dessinées, notamment pour les histoires (semi-réalistes) d’avions Tanguy et Laverdure, Buck Danny. J’étais abonné à l’époque à la revue Le Fana de l’Aviation (étant technicien biologiste mais ayant rêvé autrefois devenir ingénieur en dessin aéronautique), où ce que je préférais chaque mois était la caricature d’avion célèbre par le talentueux Jean Barbaud. Et puis un jour j’ai aperçu un livre de la série « Les petits hommes » (à gros nez absurde, pas du tout réalistes) avec plein de caricatures d’avions, je l’ai acheté avec joie, même si je ne connaissais pas le journal Spirou où il était paru en numéro hebdomadaire bien avant. Et puis j’ai oublié ce livre, et l’ai finalement perdu dans un déménagement. Mais en 2019, j’y ai repensé et, ayant oublié le titre, j’ai commandé l’intégrale des Petits Hommes, volume 1 puis volume 2. Finalement c’était l’histoire « Les guerriers du passé » à la fin du volume 2. J’y ai trouvé plein de modes de caricatures astucieux, que j’ai appliqués avec joie aux Mustangs, comme suite du livre que j’avais écrit/illustré/imprimé vers 2004 (préfacé par Jean Barbaud).
   Toutefois, en 2020, je ne me suis pas seulement intéressé aux dessins de Seron, j’ai aussi lu l’histoire, donc le scénario de Hao (et les préfaces introductives). Et j’ai été grandement étonné, plutôt désagréablement.

2/ Ce qui serait condamné par la pensée unique 2020
   Le scénario imagine que des soldats de la seconde guerre mondiale, en 1942 dans la bataille de Lybie (Anglais, Allemands, Italiens, Etasuniens), ont été touchés par l’épidémie rapetissante due à une météorite spéciale, et se sont enfuis ensemble vers une île refuge, où ils ont fraternisé et organisé leur survie à part des « grands » normaux, avec leurs avions rapetissés pareillement. On apprend cela à la fin, après la guerre avec les petits hommes modernes (français ou belges), qu’ils ont attaqué « pour se défendre ». Mais l’histoire commence par un avion de reconnaissance à croix gammée, ce qui serait interdit maintenant dans un ouvrage pour la jeunesse, et à bord duquel coopèrent un allemand et un anglais, reconnaissables à leur accent (pilote étant écrit BiloDe en prétendu allemand, et moteur : moteurw en prétendu anglais), or cette coopération avec le nazisme, sous drapeau nazi, est totalement inimaginable en France (ou même Europe) 2020.
   Je ne connais pas le détail des méandres à ce sujet entre 1945 et 2020 : condamnation à mort des « collabos » fin 1945, « les anciens combattants m’emmerdent » (Daniel Balavoine dans les années 1970), « la France est coupable pour les crimes de Vichy » (président Chirac vers l’an 2000), condamnation de l’islamisme insulté comme « islamo-fascisme » dans les années 2010. Mais en tout cas, il parait hors de question en 2020 de montrer aux enfants des croix gammées nazies « sympathiques » (des plaintes seraient déposées devant les tribunaux par les associations anti-antisémites).
   Personnellement, je ne dis pas que ce regard tolérant les soldats allemands de 1942 est monstrueux, ou à interdire aux enfants innocents. Cela me parait bien plus complexe. Je note simplement que le triomphe actuel des « chasseurs de nazis » rend ce conte 1973 imprésentable en 2020, édité seulement à titre d’antiquité en spécifiant bien la date : 1973 en périodique, 1975 en album.

3/ Ce qui est inconfortable pour moi antimilitariste
   Ecrit en période de guerre froide, Les Petits Hommes emploient les évidences du temps, notamment que les cieux résonnent des hurlements des jets supersoniques Mirages (ou autres ailleurs), et il est dit en introduction que le dessinateur a monté spécialement pour cette histoire des dizaines de maquettes pour ne pas faire de fautes, ce qui me rappelle ma période pré-ado à la fin des années 1970, où je montais ainsi plein de maquettes d’avions militaires et trouvais très normaux les bangs soniques de Mirages secouant les vitres. Mais, à la réflexion, je désapprouve cet endoctrinement implicite, qui nous (garçons) conduisait à la position de soldats bientôt morts sur le front quand l’Union Soviétique attaquerait. Sans jamais réfléchir au crime que constitue la guerre, le meurtre sur commande, l’armement même. Enfin, les Mirages des petits hommes ne sont pas armés, seulement employés pour des tâches de reconnaissance, mais cela parait absurde d’employer pour cela des avions supersoniques dévoreurs de carburant (quoiqu’en 1973, le pétrole coulait encore à flots, pour un prix presque nul, les cours étant dominés par les Occidentaux acheteurs, sans jamais faire réfléchir à cela non plu’, devenu facteur de guerre moderne).
   Quoi qu’il en soit, plusieurs points me semblent à discuter :
– Dans cette bande dessinée sont cachées les horreurs de la guerre : même parmi les combattants, il n’y a pas un mort pas un blessé, seulement des perdants comme en sport ou jeu innocent. Est-ce pour ne pas choquer les enfants ou bien les endoctriner en leur cachant le côté atroce ?
– Il est présenté comme comique que des lents avions d’autrefois l’emportent sur d’ultra-modernes avions rapides, mais ce n’est pas drôle car il s’agit de tuer, en vrai, et c’est un phénomène connu depuis la guerre du Vietnam des années 1960 : les ultra-rapides ne gagnent que les duels entre rapides avec tactique « tire et cours » (hit and run), tandis que les appareils plus lents l’emportent en combat tournoyant basés sur la maniabilité (ce qui a été redécouvert avec le Harrier dans les années 1980, dominant la Guerre des Malouines avec sa capacité au ralentissement et sur-place, dit hovering).
– Le combat au sol est angélisé, les héros n’employant pas des balles tueuses mais des fusées de détresse, mettant hors de combat les méchants soldats en les renversant bousculés désarmés ; c’est oublier que les « armes non létales » sont blessantes, parfois gravement (comme dans les manifestations françaises de 2019, avec dizaines d’éborgnés à jamais, de mains arrachées).
– Ne sont pas mis en scène que des avions mais aussi des chars d’assaut, ce qui me rappelle l’influence ayant rendu quantité de maquettistes (de ma génération) : amateurs de chars autant que d’avions ; je le regrette et impute cela au lavage de cerveau : les avions sont aérodynamiquement jolis (sauf très très anciens), alors que les chars n’ont aucun charme esthétique, n’ayant que la force massacreuse pour « intérêt » (ou force dominatrice, en cas d’équilibre de la terreur sans guerre active).
– Le général allemand ne décide pas l’attaque seul mais l’obtient (avec présentation orientée) comme décision de ses soldats, la manœuvre peut faire sourire mais c’est là cacher que la vie militaire est exactement contraire, fondée sur l’obéissance sans discussion, le strict respect (abrutisseur ?) de la hiérarchie. Toutefois, c'est ici présenté comme possiblement normal (pour les esprits enfantins non informés), moins absurdement que dans un dessin animé d'Astérix où les soldats se mettent en grève jusqu'à obtenir la décision de s'enfuir ou non.
– Il est présenté comme totalement absurde que l’attaque soit pratiquée « pour se défendre », élément comique dans l’histoire, mais il aurait pu être judicieux de noter que le mensonge est général en la matière, la plupart des guerres étant déclenchées « contre les méchants menaçant d’horreurs », c’est la routine hélas, même si les journalistes complices (et adorateurs de guerres, bonnes pour l’audience) le cachent, en appelant « fake news complotistes » les hypothèses que nos gouvernants mentent pour provoquer les guerres. Enfin, cette bande dessinée ne dit pas le contraire, mais présente cela quand même comme absurdité totale (« contraire du vrai sérieux ») ce qu’un mot aurait pu signaler comme habitude véridique (plausible).

4/ Détails anecdotiques
   J’ai quelques autres remarques, diverses, concernant le scénario :
– Le concept d’erreur (dans le dessin d’avions) aurait mérité d’être discuté en introduction : dans une bande dessinée fantaisie, le côté créatif irréaliste n’est en rien un crime, c’est au contraire pousser plus avant la logique inventive (je n’aime pas le mot : « artistique », prétendu beau objectivement).
– Le fait de se centrer sur le front occidental de la seconde guerre mondiale méprise le front russe de manière contestable. Je n’en avais pas conscience moi non plu’ dans les années 1970-80, mais les études historiques modernes semblent indiquer que les Russes allaient gagner cette guerre, et les Etasuniens ne sont intervenus en Europe que pour empêcher qu’elle bascule intégralement dans le communisme (dit second ennemi, pour la suite).
– Se moquer des accents d’allemands et anglais parlant français me parait contestable : les Français sont célèbres pour être les plus mauvais d’Europe en langue étrangère, coincés sans être capables de dire un mot, et il parait injuste de se moquer des étrangers parlant notre langue un peu imparfaitement. Enfin, il est clair que c’est écrit tel pour des lecteurs français, sinon un allemand et un anglais n’auraient aucune raison de parler entre eux, seuls à seuls, dans une troisième langue vivante, mais ici il semble bien que ce soit vu comme facteur comique essentiel, pour rire (des étrangers), ce que je désapprouve. Enfin, même si les avions Mirage III, Etendard, Jaguar, indiquent que le lectorat visé est français, l’éditeur Dupuis est belge (le dessinateur Pierre Seron né en Belgique a longtemps vécu en France), et les Belges sont empêtrés dans des querelles de langue voulue dominante, ce qui n’est pas non plu’ une position pour donner des leçons en matière de langue.
– A la façon des notices de maquettes, un avion est décrit par un pavé de dimensions et détails, en disant que c’est à diviser par 10 pour la version « petits hommes », mais… des dimensions divisées par 10 donnent des surfaces divisés par 100, et des volumes/masses divisés par 1000, l’auteur du scénario ne semblait pas le savoir, comme un médiocre professeur s’adressant à un public enfantin crédule.

5/ Bilan
   Je confirme avoir adoré les dessins de Seron (dit Fohal dans Pif gadget parait-il), mais ce scénario de Hao m’évoque de très inconfortables souvenirs, d’endoctrinement militariste sous couvert de loisir maquettiste passéiste. En prendre conscience aide toutefois à le digérer, à s’en défaire. La propagande actuelle prépare une autre guerre, contre l’Islamisme pour Israël, et je la refuse maintenant arguments à l’appui, mais il était utile de se dépêtrer du conditionnement reçu à l’adolescence (ou pré-adolescence, avant effondrement romantique).
   Par expérience, je sais que les éditeurs (et rédacteurs en chef de revue) refusent les opinions pouvant choquer des lecteurs, mais… si je suis choqué par ce scénario, c’est négligé : il ne faut pas fâcher les militaristes, mais fâcher les pacifistes est parfaitement admis, coutumier (avec cérémonies officielles célébrant les armées et les guerres passées). C’est injuste mais habituel , certes.