Je suis, différemment
Lecture du livre « Je suis »
de Sri Nigardatta Maharaj

(par Christophe Meunier, 09/08/2009)

    Ce gros livre (de 1973, traduit en 1982, éditions Les deux océans) est très intéressant, très inusuel pour un lecteur occidental, donnant à découvrir un peu de la sagesse indienne, totalement proscrite chez nous, et rejoignant partiellement ma position sceptique, mais pas complètement.
    J’ai noté un grand nombre de passages précis, et les présente en trois groupes :
1/ intéressant, me rejoignant étrangement
2/ possible, mais interdit en France (Loi Gayssot et jurisprudence contre le scepticisme)
3/ bancal, pas crédible de mon point de vue
    Je n’ai reporté que les 100 premières pages (sur 580), car les suivantes (que j’ai lues et notées, intégralement) ne constituent pas une suite clôturant un plan ou développement argumenté, elles ne font qu’exposer la même position à d’autres interlocuteurs similaires (ou peu intéressants pour moi, comme ceux allant de gourou en gourou), et il s’est avéré, en inscrivant ici mes commentaires, que j’avais – après 100 pages – tout dit en pour et en contre.

1/ intéressant, me rejoignant étrangement
• (p37) Le monde que vous percevez est, en vérité, un tout petit monde. Et il est entièrement privé. Regardez-le comme étant un rêve et n’en parlons plus. »
--> D’accord sur le principe, mais il faudra examiner la question de savoir si ce rêve est partagé par d’autres personnes dans la même situation que moi, ou si autrui n’est qu’une marionnette, simple personnage de rêve suscitant empathie spontanée.
• (p31) « Questionneur : Dans le sommeil, je ne suis pas et le monde continue. Réponse Maharaj : Comment le savez-vous ? Questionneur : Je le sais au réveil. Ma mémoire me le dit. Réponse Maharaj : La mémoire est dans le mental. Le mental continue pendant le sommeil. »
--> Effectivement, le fait que le monde « ait continué » pendant le sommeil (ou « ait existé » avant) n’est qu’une interprétation a posteriori, aussi douteuse que la mémoire (plus ou moins délirante si le monde présent est un rêve).
• (p83) « En oubliant qui vous étiez et en vous imaginant être une créature mortelle vous vous êtes créé tant d’ennuis qu’il faut vous en éveiller, comme d’un mauvais rêve. »
--> Je suis d’accord que le caractère mortel du moi n’est une évidence que pour les matérialistes réalistes. La mort d’autrui est réversible (dans le rêve d’après) et n’a aucun rapport avec l’inimaginable (et terrifiante) « mort du moi », extinction universelle n’ayant aucun rapport avec le caractère inerte d’autrui. Ces éléments de sagesse permettent de regarder tranquillement venir la vieillesse « mourante », sans se saouler de réconfort religieux affirmant n’importe quoi assorti de commandements arbitraires (soutien financier ou militaire à la synagogue, l’église, le temple, la mosquée, le monastère du lama). Dans tous les cas, même si les matérialistes athées avaient raison, et qu’une extinction du moi intervenait, autant l’attendre confortablement plutôt que dans la terreur. Il semble sage en cela de mobiliser les ressources intérieures sans se soumettre à des marchands de fausses certitudes haïssant leurs concurrents.
• (p60) : « Pour vous aider, il faudrait que Dieu connaisse votre existence. Mais vous et votre monde ne sont que des états de rêve. Dans un rêve vous pouvez souffrir le martyre. Personne ne le sait et personne ne peut vous aider. »
--> C’est ici dit en clair, d’accord, mais j’ajouterais un conditionnel. C’est effectivement une possibilité, mais le contraire (réalisme) n’est pas prouvé erroné, n’étant qu’une autre interprétation. C’était le point de départ du « Discours de la méthode » de Descartes, avant une cascade de fautes logiques ramenant à tort au réalisme, argumentaire erroné jamais dénoncé tel avant mon livre « Contre la Réalité », je crois, aboutissant à l’impasse sceptique sur la même base de départ.
• (p35) « Pouvez-vous dire, véritablement, que vous n’existiez pas avant de naître et vous est-il possible d’affirmer quand vous êtes mort : "Maintenant je ne suis plus" ? Votre expérience ne vous permet pas de dire que vous n’êtes pas. Ce que vous pouvez dire c’est "je suis". »
--> Effectivement, le fait que la réincarnation (amnésique) soit, tout à la fois, le dogme en Inde et une folie en Occident, ne repose sur aucune certitude ou impossibilité de principe. Le personnage que je suis en rêve n’a pas souvenir d’avoir été un autre, ses certitudes éventuelles (tirées des dogmes locaux) ne prouvent rien. Toutefois, les matérialistes athées pourraient aussi avoir raison, sur un monde partagé, entrecoupé chez chacun de rêves intérieurs, et ce monde pourrait être fini pour chacun après moins de 150 ans, alors… après extinction définitive le « moi » ne serait évidemment pas capable de constater quoi que ce soit, mais… ceci ne prouve en rien l’éternité du moi « là où il y a quelque chose pour quelqu’un ».

2/ possible, mais interdit en France (Loi Gayssot et jurisprudence contre le scepticisme)
• (Introduction, p9) « Si l’on avait demandé à Sri Nigardatta Maharaj de nous raconter sa vie, ce dernier aurait certainement répondu qu’il n’y a rien de tel qu’une naissance, une croissance et que rien n’est jamais arrivé… »
--> Oui, c’est la sagesse philosophique du scepticisme qui est le mien : ma naissance est un ouïe dire, seulement, et mon nom et mon âge différent d’un rêve à l’autre, à en croire les souvenirs présents, dans ce monde qui n’est peut-être qu’un autre rêve. Mais, en France, il est totalement interdit de contester la véracité de la Shoah, sous peine de prison et amende énorme. C’est la loi Fabius-Gayssot, punissant les bouddhistes indiens affirmant « tout est illusion » (sans gêner le dalaï-lama tibétain cherchant au contraire des alliés stables et puissants pour rétablir sa domination théocratique, avec servage organisé). La justice française est partisane, considérant pareillement, sans intelligence critique, que les experts scientifiques énoncent la vérité, même si c’est un contresens épistémologique (sacralisant des théories temporaires) et philosophique (étouffant les objections logiques et religieuses aux généralisations infinies).
• (p29) « en fait l’univers entier n’existe que dans la conscience (…). Quoi qu’il arrive, je dois être là pour en être le témoin. »
--> Là encore, cette restriction de ce qui est à ce que j’ai vécu est interdite par la loi Gayssot, rendant obligatoire d’admettre des « faits » (prétendus) antérieurs à moi en ce monde.
• (p30) « Le monde ne dure qu’un instant. C’est votre mémoire qui vous fait penser que le monde a une continuité. En ce qui me concerne je ne vis pas par la mémoire. Je vois le monde tel qu’il est, une apparition momentanée dans la conscience. »
--> En France, le « devoir de mémoire » est devenue une obligation légale, rappelée quotidiennement par la propagande officielle, inculquée par l’éducation obligatoire (sous peine de punition et misère).
• (p88) « Mon monde n’est pas le vôtre. Tel que je le vois, vous êtes tous sur une scène en train de jouer la comédie. Il n’y a aucune réalité dans vos allées et venues. Et, de plus, vos problèmes sont tellement irréels. »
--> D’accord, l’hypothèse du rêve ne semble pas honnêtement rejetable, jusqu’à preuve du contraire. Mais dire que « les récits de la Shoah sont tellement irréels » est puni de prison, en France… Tant pis pour la philosophie, la liberté religieuse, l’esprit critique. Le dogme l’emporte, pour garantir le soutien obligatoire aux sionistes, en réparation (ce n’est pas une affaire de principe car la loi autorise à nier le génocide amérindien, puisqu’il n’est nullement question d’expulser les Etasuniens). L’activisme politique a remplacé la pensée, avec le total assentiment (benêt ou menteur) des érudits osant se désigner comme « les intellectuels ».

3/ bancal, pas crédible de mon point de vue
• (p17) « Une chose est certaine, le réel n’est pas imaginaire, ce n’est pas un produit de la pensée. »
--> Sans critères pour reconnaître le réel (il n’y en a pas un seul dans ce livre, et j’ai invalidé tous les faux tests de source philosophico-scientifique), cette phrase ne peut pas s’appliquer au prétendu-réel qu’est le monde présent selon les réalistes. Par contre, s’il s’agit d’une litote, affirmant que « ce qui, par définition, est indépendant de la pensée, éh bien, assurément, c’est indépendant de la pensée », cela n’apporte rien, et la question qui se pose serait : le réel existe-t-il ? ou, si c’est aussi un principe obligatoire par définition : ai-je accès au réel ?
• (p23) « Votre mère n’était pas nécessaire pour vous donner naissance ; vous auriez pu naître d’une autre femme. Mais vous n’auriez pas pu naître sans la terre et le soleil. »
--> Si, tout est possible pour autrui (sachant autrui cauchemardé non distinguable d’autrui « réel »). Des personnes sont nées de mon imagination, sans « mère » physique, et sans terre ni soleil obligatoire (il se trouve qu’il y avait une lumière et un support, mais ce sera classé imaginaire après le réveil).
• (p29) « Tout a son être en moi, dans le "je suis" qui brille en tout être vivant. »
--> C’est incompréhensible, sous les deux lectures possibles que j'entrevois : A) "dans tout être vivant, je reconnais mon moi". Mais pourquoi les êtres vivants particulièrement ? Si "quelque chose est" n'est connaissable que par "ma perception", directe ou indirecte, ça n'a rien de spécifique au vivant, concernant aussi les vagues, le vent, etc. B) "dans tout être vivant, je reconnais un moi qui lui est propre". Mais d’où est parachutée la certitude qu’un moi effectif existe en autrui ? Autrui le prétend certes, mais ni plus ni moins que dans les rêves classés tels a posteriori, et même dans les rêveries où la cohérence externe, en autrui, n’est clairement qu’un jeu du moi rêveur, seul moi véritable en ce monde-là (d’après les jugements réalistes). Quant à dire que tout être vivant est semblable aux humains, c’est aussi une affirmation gratuite, non convainquante : est-ce qu’un nouveau-né ou embryon possède la notion de moi ici mentionnée ? et un ovule fécondé ou un globule blanc ? et un chien, une étoile de mer, un arbre, une bactérie, un virus, un prion ? La frontière incertaine limitant le contour du concept « être vivant » a-t-elle un rapport avec le sujet ici traité ?
• (p56-57) « Vous êtes dans la confusion parce que vous croyez être dans le monde et non que le monde est en vous. Qui vint le premier, vous ou vos parents ? Vous imaginez être né à un certain endroit, à une certaine heure, que vous avez un père et une mère, un corps et un nom. Voilà votre péché et votre fléau ! Vous pourriez certainement changer le monde si vous y travailliez. Travaillez donc. Qu’est-ce qui vous en empêche ? Je ne vous ai jamais découragé. Causes ou pas causes, vous avez fait ce monde, vous pouvez le changer. »
--> Ce n’est pas crédible sous forme dogmatique. L’intériorité du monde présent est une hypothèse, certes possible contrairement à ce que clament les réalistes, mais pas certaine contrairement à ce que clame cet indien. Et, même si c’était intérieur, il ne faut pas oublier la liaison ténue entre les deux sens du mot « moi » : le rêveur et le personnage vécu. La douleur impuissante vécue en cauchemar montre que le personnage moi peut s’avérer inapte à chambouler les causalités-conséquences apparentes. Certes à titre de possible incertain, tout est envisageable, des croyants réalistes appellent cela prière, ça ne prouve rien et n’avance guère. C’est d’ailleurs reconnu plus loin (voir p60 au paragraphe 1).
• (p85) « De quel Dieu parlez-vous ? Qu’est-ce que Dieu ? N’est-il pas cette lumière qui fait que vous posez cette question ? "Je suis" est Dieu aussi. La recherche aussi est Dieu. (…) La conscience qui est en vous et la conscience qui est en moi, deux en apparence, une en réalité, recherchent l’unité et ceci est l’amour. (…) Qu’aimez-vous actuellement ? Le "je suis". Donnez lui votre corps et votre esprit. Quand ceci est sans effort et naturel, c’est le plus haut des états. Dans cet état l’amour-même est à la fois l’amant et l’être aimé. »
--> On semble loin des personnages folkloriques de déesse à six bras et autres formes d’hindouisme, c’est bien. Mais d’où vient le parachutage d’une conscience effective en autrui, au-delà de la conscience apparente, simple cohérence, des personnages en rêve ? Et cela n’est pas l’amour, je ne suis pas d’accord : dans les cauchemars autrui est très méchant n’inspirant nullement l’amour, tandis que les rêveries amoureuses sont un peu gâchées si on réalise que l’être aimé n’est pas « autre » découvert avec émerveillement (le risque de désillusion apporte un frisson ajoutant au sentiment de chance merveilleuse) mais simple construction à moi… Et puis, pour rêvasser bienheureusement, nul besoin de se saouler de méditation, fermer les yeux peut suffire.
• (p94) « C’est à vous que votre monde apparaît. Pour moi il n’y a qu’un monde. Vous pouvez me raconter ce que vous voulez de votre monde, je vous écouterai attentivement, avec intérêt même, cependant à aucun moment je n’oublierai que votre monde n’existe pas, que vous rêvez. »
--> C’est incompréhensible. Autrui peut rêver s’il est dans la même position que moi, d’accord, sans n’être qu’une marionnette que j’invente, MAIS dans ce rêve qui serait sien, « je » serais absent (il ne parlerait qu’à mon personnage n’ayant pas « moi » à l’intérieur, ne faisant qu’en donner l’illusion, sans ma présence consciente). Pire : si autrui peut effectivement rêver, sans ne faire qu’en donner l’illusion, je me trompe en pensant le rêver lui, et je ne serai pas en position de lui donner des leçons mettant en avant la certitude du rêve. Bref , on touche là le cœur de l’erreur de ce « sage », qui me semble certaine : s’il a raison en pensant qu’il rêve lui-même, c’est possible, mais dans ce cas il se trompe en cherchant à convaincre autrui que celui-ci rêve aussi, puisqu’il ne parlerait qu‘à une marionnette. Il aurait raison de dire « votre monde n’existe pas » à la marionnette mais tort de dire « vous rêvez », seul « je rêve » étant plausible.
• (p98) « Question : Vous niez encore le monde. Il n’y a pas de pont entre nous. Réponse Maharaj : Il n’est pas besoin de pont. Votre erreur est de croire que vous êtes né. Vous n’êtes jamais né, et jamais vous ne mourrez, mais vous croyez être né à une certaine date, dans un certain lieu et qu’un corps particulier vous appartient. »
--> Je comprendrais que Maharaj dise : « Comme la position que vous dites vôtre, j’ai cru ceci et cela, et je pense maintenant que c’était une erreur. Si vous n’étiez pas qu’une marionnette, donc si je me trompais, paradoxalement vous pourriez suivre le même chemin que moi, en vous trompant aussi. Mais si j’ai raison, vous n’êtes qu’une marionnette, et je ne vais pas parler de ce que vous croyez, car vous n’êtes qu’une marionnette mimant la pensée. » (Mon livre « Contre la Réalité » avait le même problème potentiel, mais je contournais la difficulté en disant : si vous étiez pensant, et logique, vous conviendriez que c’est indécidable pour chacun). Autre explication : il y aurait un très grave problème de traduction (pour « réel » et pour « rêve »), et la position de Mahraj n’aurait rien à voir avec mon hypothèse du rêve (personnage vécu comme « moi », partiellement lié au « moi rêveur » et entouré de marionnettes) ; dans ce cas, mon hypothèse du rêve casserait le dogmatisme de Maharaj : « qu’est-ce qui vous prouve que votre interlocuteur possède un moi et une pensée effective ? Vous n’avez nullement justifié vos bases. Comme vous assenez l’hypothèse hindoue du rêve partagé pour désarçonner vos interlocuteurs réalistes, vous êtes désarçonnable par l’hypothèse semi-cartésienne du rêve personnel ».