MICROBIO-LOGIQUEMENT ÉGARÉ
Souvenirs un peu perdu, de pourcentages annoncés
par CME, écrit le 04/03/2023, site Web le 18/03/2023

    Cette nuit, j’ai fait un « presque cauchemar », semi-professionnel, et le mettre par écrit va j’espère me soulager. Enfin, ce n’était ni un cauchemar horrible (faisant peur) ni un rêve quelconque (anodin), mais entre les deux : un rêve inconfortable, comme partiellement culpabilisateur. De même, ce n’est plu’ mon métier (je suis en invalidité jusqu’à mort prochaine) mais c’était autrefois mon métier, partiellement, quoique sous un autre angle.
    Le cœur de ce rêve était l’interview que m’a accordé un employeur potentiel en août 1984 (il y a 39 ans !). Il allait devenir mon employeur pour 34 ans mais je ne le savais pas encore. J’étais technicien ("supérieur") de laboratoire, diplômé en Analyses Biologiques et Biochimiques, et cet employeur était célèbre dans le milieu comme fournisseur d’outils d’identification bactérienne. Ce domaine est méconnu du grand public mais moins depuis la toute récente crise covid19 où de grands cris appelaient à identifier le variant du microbe infectant (ce qui se fait avec du personnel comme je l’étais et des outils comme en vendait cette compagnie (domaine dit « tests de diagnostic in vitro »). Enfin, là il s’agissait de bactéries non de virus, et d’identification biochimique non génétique à l’époque, mais le principe est le même.
– Un de mes deux interviewers (RP grand patron ou VH cheffe de service) m’a demandé : « selon vous, comment teste-t-on la qualité de nos consommables en routine ? ». J’ai réfléchi peut-être trois secondes et j’ai répondu quelque chose comme : « je pense que vous prenez des germes connus, que vous passez sur les [outils] à contrôler, et vous vérifiez que l’identification rendue est la bonne ». Je crois me souvenir que la réaction en face a été une semi-grimace avec semi-hochement de tête. Avec des mots comme « c’est presque ça, mais on ne vérifie pas que l’identification générale, plutôt chaque test particulier. » (L’outil en question étant une brochette de multiples tests différents, donnant autant de réponses +/-, examiner chacune pouvant être davantage sévère que l’ensemble complet lu qualitativement avec une certaine robustesse aux aléas ponctuels). En tout cas, ma candidature a été retenue, ouf, et j’ai été embauché « à l’essai » (je pensais ne pas réussir) puis « confirmé » (ouf encore). Enfin, j’étais en même temps un programmeur Basic amateur (non sans intérêt pour ce labo en voie d’informatisation), au-dessus du niveau normal de technicien-supérieur en biologie-biochimie, et je postulais à une place niveau bac technique, technicien pas supérieur, ils pouvaient avoir de solides raisons (en ratio apport/coût) de me choisir, mais je n’étais pas sûr d’être meilleur que les concurrents. Et, en particulier, j’étais un peu culpabilisé d’avoir été choisi malgré ma réponse partiellement incorrecte à la question posée. Injustice ? En ma faveur (coupable) ?
– Ensuite, j’ai été concentré sur mon travail précis sans me poser de questions. Presque une décennie dans ce service Contrôle. Même si l’employeur (spécialisé en recherche-contrôle) a fusionné avec l’unité de production, elle-même rachetée rapidement par une entreprise pluss grosse. A l’époque, je n’étais guère attentif lucide vis-à-vis de ce qui se passait, étant en « dépression chronique » selon les psychiatres aveugles (c’était simplement une profonde tristesse, deuil sentimental vécu comme éternel). Puis en 1993 j’ai disjoncté, démissionné pour raisons personnelles, mais un autre service de la même compagnie m’a récupéré, embauché (sans plu’ m’imposer de travailler avec une beauté inaccessible), non dans le domaine identification microbienne mais en biochimie chromatographique. Ce nouveau service (« Recherche », nouveau pour moi) était moins astreint à la performance horaire, prenant davantage de recul pour mieux faire « en levant le nez du guidon ». Il fallait réfléchir pour inventer toujours mieux toujours moins cher, mieux que la concurrence. En tout cas, cela m’a fait réinterpréter mon expérience de contrôleur, mettant en question les commandements qui avaient été « à appliquer, sans discussion ». Enfin, j’ai été dans trois sous-services (en 1993, 2001, 2012) tous différents de l’identification biochimique, mais la forme d’esprit requise pouvait m’amener à réinterpréter ce domaine aussi. Et là, ça se produit à retardement, de manière nocturne après 4 ans en invalidité, 30 ans après avoir été intégré à ce département, hum (« pas rapide, le gars », oui).
– Idéalement, quand un nouveau lot (d’outil d’identification, consommable) est produit, on devrait tester absolument tout dessus, pour confirmer ses performances en détail écrites sur la notice d’emploi, apparemment garanties sur ce lot aussi), en passant des dizaines de milliers de souches, des centaines de fois en réplication, par des centaines d’opérateurs différents à des centaines d’endroits, avec des dizaines d’âges de préculture et des dizaines de temps entre préculture et mise en suspension, des dizaines de temps entre mise en suspension et inoculation effective, des dizaines de temps entre inoculation et mise effective en étuves (de dizaines de types et dizaines de machines par type, avec dizaines d'environnements), après préculture sur des dizaines de milieux dits acceptables, de dizaines de lots et âge chacun, etc. Ce serait totalement parfait en information mais clairement hors de prix et avec des délais proches de l’expiration du produit. Il est clair que ce n’est pas du tout ce qu’il est possible/raisonnable de faire. Donc le contrôle obligatoirement n’est que partiel. Mais… ce n’est pas si simple.
– Dans l’approche de vérifier chaque test (et pas seulement la conclusion en identité), il y a des cas positifs (comme « jaune »), des cas négatifs (comme « bleu »), des cas variables (comme « vert » ou bien « 1 fois jaune 1 fois bleu »). Bien sûr, il doit y avoir respect des requêtes en positifs et négatifs sans normer les cas variables (tout est accepté pour eux), mais il y a un paramètre de fréquence qui est méconnu. Par exemple, on appelle variable ce qui a une probabilité > 5% de donner l’autre résultat que celui initialement attendu : envisager un résultat franc générerait trop de recontrôles pour rien et même de rejets à tort de lot correct, gaspillage financier. Mais… mon objection de cette nuit est la suivante : comment gérer ou détecter un lot qui ferait passer un taux de positivité pour une souche de 20% répétable (±2%) à 80% (±2%) ? Cela peut être un effet lot normal, mettant en doute la pertinence des tables de données (en % de positivité, toutes souches confondues, par espèce) utilisées par le logiciel rendant l’identité. Pareil pour un lot faisant passer de fréquence 100,0% estimé à 96% constaté, donc effet-lot franc, démontrable si une énorme étude le cherchait mais passant normalement inaperçu au service contrôle « qualité ».
    Je ne dis pas ça comme une faute professionnelle dans les procédures, ni comme une arnaque inhérente au produit, mais comme ce qui me semble une dérangeante objection, une imperfection peut-être inévitable à coût raisonnable. Le contrôle ne garantit pas du tout que chaque lot est pile-pareil sur tout, mais qu’il a été examiné (« assez », ±) soigneusement sans montrer de gros problème.
    Le malentendu principal survient quand le contexte est fanatique scientiste, comme révélé dans les crises covid19 ou réchauffement climatique, politiciens et journalistes unanimes claironnant que tout résultat scientifique est La Vérité (indéniable sauf irrationalité – stupide ou criminelle, à en faire pleurer l'adulée Greta Thunberg). De l’intérieur du monde scientifique, j’affirme simplement que c’est une lourde erreur d’incompétence totale : en pratique, la techno-science essaie de faire de son mieux en l’état présent des consensus, même si des erreurs partielles sont possibles (voire un peu fréquentes) et des cas actuellement consolidés pourront être démentis dans le futur.
    Bref, quand un client dubitatif (ne se contentant pas de faire confiance aveugle au logiciel) lit dans la table quelque chose comme « Klebsiella oxytoca, test Indole positif à 84% », cela ne signifie pas que c’est ce pourcentage avec le lot qu’il vient d’utiliser mais avec les lots utilisés autrefois pour bâtir la base de données, en vérifiant seulement qu’il n’y a pas de grosse dérive sur un échantillon de tests. Les indications statistiques sont relatives, indicatives, sans constituer La Vérité Binaire Oui/Non (Tout vrai/Tout faux). Et ce n’est pas spécialement un scandale, en ce sens que « tout est relatif » : ce pourcentage concerne le panel d’endroits testés, n’incluant pas forcément votre pays ou région ou ville ou hôpital, ni les générations actuelles de germes, évoluant selon la science darwiniste et l’expérience pratique, ni le lot de gélose que vous avez employé en préculture, etc. Il a valeur d’estimation un peu incertaine, au moment de cette estimation, dans les conditions de cette estimation. Généraliser est en toute rigueur-logique une erreur (l’induction est une faute en affirmation de vérité) mais presque toute la science fonctionne ainsi, de nos jours (hélas sans que ce soit bien connu de tous). Bien que diplômé en sciences, je conteste l'intégralité de l'enseignement reçu, même en science dure comme la physique, les lois énoncées avec le signe "=" étant abusives, pour « environ égal, sans qu'on ait à ce stade prouvé le contraire, et en s'aidant (en "validation") des incertitudes de mesure gênant les démonstrations d'erreur ».
    OK, je peux me rendormir, je crois.
(Écrit de nuit en chambre d’hôtel, sans faire de bruit, dactylographié bien plus tard, et mis sur Internet en html encore après. Peut-être mes ex-collègues pourront-ils achever de me rassurer.)