(rêve nocturne sous antipsychotique) par Krostif B. M., 12/03/2017
– bonjour Papy. (Biz).
– Bonjour Krostif. (Biz). Ça va ?
– je sais pas. Je revois souvent mon grand-père paternel, mathématicien, pareil, après euh… mais toi c’est la première fois, depuis… 27 ans ou quoi.
– Oui. Tu as davantage hérité le côté matheux de l’autre côté semble-t-il.
– davantage matheux que quoi ? Là, dans ce petit livre hommage, que tes enfants ont écrit à ton sujet, on ne sait pas qui tu es, quels étaient tes écrits, secrets.
– Je l’ai organisé ainsi. Ça me va bien.
– je comprends, mais… après 19 grandes pages de mystères, d’anecdotes, de chacun, chacune… dans les 2 dernières pages de texte, tous ensemble, ils… ils te font m’injurier, moi et ma copine imaginaire, en disant que c’est le sens de ta vie entière.
– Erreur… Pardonne-les.
– ah.
– Tu sembles avoir envie d’expliquer, ce qui t’as choqué.
– pardon.
– Vas-y. Explique-moi, c’est intéressant.
– merci, oui. Hum. Oui, ils font de toi un champion de la bonne orthographe, parfaite, qui serait scandalisé par la moderne chute de niveau en orthographe.
– Pourquoi dis-tu que ça t’injurie ? Tu étais très brillant élève, en orthographe aussi.
– parce que… j’ai baissé mon froc, pour avoir des bonnes notes, mais j’étais en profond désaccord, au CM1, à 8 ans et demi (ou 9 ans).
– En désaccord avec l’orthographe ?
– notre instit’ nous avait dit que l’orthographe est très logique, avec l’exemple de « accueillir », et je l’ai contesté, tenant ferme. Il disait que « acceuillir » se lirait asseuillir, moi je disais que son écriture à lui devrait se prononcer akèyir, avec è comme dans reine, peine, veille, il faudrait C.U.E.U. ou K.E. [« accueuillir » ou « akeyir »]. Les tonnes d'exceptions à emprendre par coeur, c'est anti-logique.
– Intéressant, petit bonhomme !
– et ma copine Patrycja, elle, elle a été classée « handicapée mentale », parce qu’elle a inventé une orthographe française géniale, phonétique en lettres standard (transparente à la finnoise – et les petits finlandais sont champions d’Europe en intelligence infantile). Que la génération juste avant moi se fasse « fiers officiers commandeurs de l’orthographe française académique », au lieu de faire preuve d’intelligence critique, je trouve ça très moche, et pourquoi ils t’embrigadent toi dans leur répression ?
– Parce qu’ils se trompent. Pardonne-les. Tu vaux mieux qu’eux. J’ai un peu raté mes enfants, désolé, mais en mixant avec un peu de sang logicien, ça a donné des bourgeons intéressants, à la génération d’après, merci.
– euh… non, la flatterie ne répond pas au problème.
– Certes. Mais ça apaise la colère, ou rancœur, ou tristesse, hein ?
– peut-être…
– Est-ce que tu as cru que… parce que j’étais enseignant comme ta mère, avide de sciences comme tes oncles, j’étais dans leur camp social ?
– euh, c’est eux qui ont l’air de dire ça.
– Erreur. C’est juste que leur ascension avec l’ascenseur social, via succès scolaire, leur est montée à la tête. Toi qui a préféré t'enterrer, socialement, tu voies ça de l'autre côté, à juste titre.
– je trouve que l’école était – et reste – une usine à crétins. Jetant les esprits logiques pour récompenser les réciteurs, les admirateurs de célébrités, et traditions. Zéro logique, zéro inventivité.
– Oui, mais ils n’ont pas ma sensibilité envers les dits-inférieurs, c’est un sous-cas d’enseignant-ingénieur-chercheurs qui se pavanent à se croire supérieurs aux élèves, aux techniciens et ouvriers.
– et moi quand j’invalide un théorème, ces gens-là me disent « crank », orgueilleux quidam osant insulter les « grands hommes », et insulter le corps enseignant. Sans vérifier en rien ma démonstration, mathématiquement imparable.
– Le monde n’est pas idéal. Le mépris injuste est quand même moins grave que le détournement financier, le mensonge calculé.
– je sais pas.
– Crois-en mon expérience, douloureuse.
– oui, merci, papy.