Dialogue avec Georges B, âgé de 116 ans
(rêve nocturne sous antipsychotique)
par Krostif B. M., 12/03/2017

– bonjour Papy. (Biz).
Bonjour Krostif. (Biz). Ça va ?
– je sais pas. Je revois souvent mon grand-père paternel, mathématicien, pareil, après euh… mais toi c’est la première fois, depuis… 27 ans ou quoi.
Oui. Tu as davantage hérité le côté matheux de l’autre côté semble-t-il.
– davantage matheux que quoi ? Là, dans ce petit livre hommage, que tes enfants ont écrit à ton sujet, on ne sait pas qui tu es, quels étaient tes écrits, secrets.
Je l’ai organisé ainsi. Ça me va bien.
– je comprends, mais… après 19 grandes pages de mystères, d’anecdotes, de chacun, chacune… dans les 2 dernières pages de texte, tous ensemble, ils… ils te font m’injurier, moi et ma copine imaginaire, en disant que c’est le sens de ta vie entière.
Erreur… Pardonne-les.
– ah.
Tu sembles avoir envie d’expliquer, ce qui t’as choqué.
– pardon.
Vas-y. Explique-moi, c’est intéressant.
– merci, oui. Hum. Oui, ils font de toi un champion de la bonne orthographe, parfaite, qui serait scandalisé par la moderne chute de niveau en orthographe.
Pourquoi dis-tu que ça t’injurie ? Tu étais très brillant élève, en orthographe aussi.
– parce que… j’ai baissé mon froc, pour avoir des bonnes notes, mais j’étais en profond désaccord, au CM1, à 8 ans et demi (ou 9 ans).
En désaccord avec l’orthographe ?
– notre instit’ nous avait dit que l’orthographe est très logique, avec l’exemple de « accueillir », et je l’ai contesté, tenant ferme. Il disait que « acceuillir » se lirait asseuillir, moi je disais que son écriture à lui devrait se prononcer akèyir, avec è comme dans reine, peine, veille, il faudrait C.U.E.U. ou K.E. [« accueuillir » ou « akeyir »]. Les tonnes d'exceptions à emprendre par coeur, c'est anti-logique.
Intéressant, petit bonhomme !
– et ma copine Patrycja, elle, elle a été classée « handicapée mentale », parce qu’elle a inventé une orthographe française géniale, phonétique en lettres standard (transparente à la finnoise – et les petits finlandais sont champions d’Europe en intelligence infantile). Que la génération juste avant moi se fasse « fiers officiers commandeurs de l’orthographe française académique », au lieu de faire preuve d’intelligence critique, je trouve ça très moche, et pourquoi ils t’embrigadent toi dans leur répression ?
Parce qu’ils se trompent. Pardonne-les. Tu vaux mieux qu’eux. J’ai un peu raté mes enfants, désolé, mais en mixant avec un peu de sang logicien, ça a donné des bourgeons intéressants, à la génération d’après, merci.
– euh… non, la flatterie ne répond pas au problème.
Certes. Mais ça apaise la colère, ou rancœur, ou tristesse, hein ?
– peut-être…
Est-ce que tu as cru que… parce que j’étais enseignant comme ta mère, avide de sciences comme tes oncles, j’étais dans leur camp social ?
– euh, c’est eux qui ont l’air de dire ça.
Erreur. C’est juste que leur ascension avec l’ascenseur social, via succès scolaire, leur est montée à la tête. Toi qui a préféré t'enterrer, socialement, tu voies ça de l'autre côté, à juste titre.
– je trouve que l’école était – et reste – une usine à crétins. Jetant les esprits logiques pour récompenser les réciteurs, les admirateurs de célébrités, et traditions. Zéro logique, zéro inventivité.
Oui, mais ils n’ont pas ma sensibilité envers les dits-inférieurs, c’est un sous-cas d’enseignant-ingénieur-chercheurs qui se pavanent à se croire supérieurs aux élèves, aux techniciens et ouvriers.
– et moi quand j’invalide un théorème, ces gens-là me disent « crank », orgueilleux quidam osant insulter les « grands hommes », et insulter le corps enseignant. Sans vérifier en rien ma démonstration, mathématiquement imparable.
Le monde n’est pas idéal. Le mépris injuste est quand même moins grave que le détournement financier, le mensonge calculé.
– je sais pas.
Crois-en mon expérience, douloureuse.
– oui, merci, papy.