« Ne participe pas assez à la classe... », annexe en forme de "pas d'accord" dans mon essai de 1993
(extrait puisque libre de droit sur Internet)
par Tophe2023, 21/05/2023

Mon livre source, philosophie de scepticisme irréaliste introverti
Mise à jour 2023, devenu père

   Le fait que notre société (occidentale, moderne) ait glorifié la communication ne semble s'accompagner d'aucune réserve, aucun remords. Mieux que la soumission silencieuse à une autorité, mieux que la muette hostilité entre égoïstes, une situation où chacun s'exprime fait figure d'idéal.
   Cependant, si le droit à la parole est respectable, il est atroce qu'une obligation de discourir ait été instituée, dans les collèges et lycées. Les élèves « sages », timides et silencieux, qui avaient autrefois d'excellentes notes de « conduite », sont maintenant sanctionnés pour leur comportement effacé. Les disciplines linguistiques, obligatoires, comportent ainsi très souvent une note de « participation orale» (spontanée) et dans bon nombre d'autres matières, se mettre en avant pour clamer des idées, même inexactes, tient lieu de nécessaire gage d'intérêt vis-à-vis du sujet abordé. Bref, l'école n'a pas fait qu'abroger la dictature disciplinaire qui bridait les extravertis, elle a institué un nouveau dogme, qui ne respecte plus les tempéraments introvertis. Et les individus pris pour cible étant par nature discrets et passifs, cette pression psychologique n'est pas dénoncée. Elle le mériterait pourtant : dans une société qui se prétend tolérante, avoir imposé comme qualité scolaire indispensable la prise de parole spontanée constitue une véritable répression idéologique contre l'introversion.
   Pour les éducateurs n'ayant trouvé aucun intérêt à ce livre, il paraissait utile de résumer et développer les idées qui ont été abordées, dans divers chapitres, sur le thème de l'enseignement.

A - L'école et l’épanouissement des élèves
• La première question qui se pose est la suivante : l'école n'est-elle pas fondamentalement une institution intolérante - aussi généreux que puissent être ses buts ?
   Il y a, dans l'idée d'éducation, deux éléments : d'une part amener l'élève à s'intégrer harmonieusement dans la société, d'autre part lui donner les moyens de devenir un adulte heureux. Le second point est d'ailleurs présenté comme une justification altruiste du premier, pleinement à même de réfuter les éventuelles accusations d'embrigadement.
   Pourtant, le fait de guider un enfant suppose que ses propres choix ne soient pas respectables, que ce petit être sans grande expérience ne soit pas en mesure de discerner ce qui fera à terme son bonheur. C'est dans cet esprit qu'on le conduit sur le chemin adéquat, et cela avec fermeté si ses « caprices » l'amènent à résister. La déclaration universelle des droits de l'homme légitime ce principe : « les parents ont, par priorité, le droit de choisir le genre d'éducation à donner à leurs enfants » - ce qui ne fait que départager en cela parents et gouvernants, en cautionnant l'idée que ce n'est pas aux enfants eux-mêmes de choisir.
   Les pédagogies modernes, qui prétendent aborder l'enfant comme un individu cohérent et respectable, et non comme un « adulte en devenir », restent elles-mêmes des pédagogies. Leur but est un guidage, une orientation, même si le moyen technique employé est plus proche de l’incitation à la découverte utile que de la leçon autoritaire.
   Si l'enfant était vraiment considéré comme une personne à part entière, dont les idées sont respectables, l'éducation apparaîtrait comme une entreprise d'endoctrinement, de lavage de cerveau – que le procédé employé soit autoritaire ou insidieux. Répondre que l'intellect enfantin constitue un vide à remplir, sans que cela nécessite la moindre destruction, ne serait pas honnête : l'égocentrisme des premiers âges est bel et bien extirpé, au moyen d'incitations ou sanctions.
   Finalement la prétendue générosité de l'éducation repose sur le principe de l'altruisme intolérant (ou l'intolérance altruiste), luttant pour le bien d'autrui en imposant un modèle jugé optimal et en détruisant les idéaux différents. Un discours adéquat consolide cette position : une dictature généreuse n'est pas une dictature mais une œuvre de charité, un sacerdoce. La répression scolaire de l'introversion peut parfaitement s'insérer dans ce cadre ; loin de constituer un abus de pouvoir et une trahison ponctuelle des principes de tolérance à l'égard des non-violents, elle ne ferait que révéler un vaste malentendu.
• Le fait que des enfants soient allés réclamer, au siège de l'ONU, l'obligation scolaire semble cependant contredire formellement l'idée que l'éducation est inévitablement une forme d'oppression.
   Il est instructif de découvrir les circonstances de cette action revendicative, décrite dans l'ouvrage « Si tous les enfants du monde... ». Ce livre est le récit d'une croisière « de réflexion », organisée et encadrée par des adultes, au cours de laquelle une quinzaine de jeunes de différents pays font la fête... et méprisent conjointement le seul personnage touchant : une petite Cambodgienne discrète, solitaire et souffreteuse. Le texte élaboré reflète ainsi essentiellement l'opinion d'enfants sociables et conviviaux, ce qui aboutit à un texte partisan, sans valeur universelle. Le point de vue des silencieux est, là comme ailleurs, évidemment ignoré – de même que le sentiment d'enfants ayant refusé l'éducation au point de ne pas acquérir le langage. Réclamer l'école obligatoire pour tous exprime clairement le penchant qualifié plus haut d'altruisme intolérant. Si, en effet, les enfants de la rue étaient en position de réclamer le droit d'aller à l'école contre l'avis parental (en échappant ainsi aux travaux de peine, à la mendicité forcée ou à la prostitution), il est révélateur que les nantis scolarisés n’aient pas songé à formuler le droit complémentaire, de refuser l’école contre l’avis parental. Il suffisait de penser au très petit enfant, fondant en larmes les premiers jours de classe, quand il est abandonné dans un milieu tout d'abord inconnu et effrayant, puis au milieu d'une meute de jeunes caïds hurlant leur santé, agressant les calmes, écrasant les faibles, se moquant cruellement... Certains autistes, notamment, ne parviennent pas à dépasser ce stade traumatique de la relation avec les autres enfants. Il suffisait aussi de penser à la réprimande du maître pour insuffisance de rendement ou d'effort, qui évoque plus le travail forcé que la bonté valorisante d'un être désintéressé.
   La scolarité est donc bien imposée dictatorialement, même si c'est avec de bonnes intentions et si l'aspect fondamentalement répressif n'apparaît qu'aux quelques enfants supportant mal la vie de groupe.
• Si, dans ce contexte, la répression de l'introversion n'est pas vraiment une anomalie, il est tout de même permis de se demander par quel subterfuge elle peut passer pour un acte généreux. C'est à ce stade du débat qu'intervient la doctrine philosophique ou psychologique selon laquelle la condition humaine serait fondamentalement basée sur la sociabilité, l'extraversion. Les introvertis seraient ainsi des individus névrosés, sous l'emprise d'une pudeur intuitive excessive. Pour leur permettre de « s'épanouir », il faudrait donc leur faire violence, les obliger à chanter en public, danser, faire du théâtre – ou plus simplement : prendre la parole pour clamer haut et fort de vagues idées sur n'importe quoi. Même si la transition est douloureuse, il est attendu de cette éducation presque thérapeutique un éveil à la vie de groupe, une découverte des bienfaits de l'extériorisation, de l'expression.
   Hélas, il ne s'agit que d'une hypothèse, et elle n'est confortée que par des exemples limités : quelques extravertis effectivement refoulés qui se recroquevillaient douloureusement et se sont ouverts en devenant euphoriques. Rien ne prouve l'universalité de ce principe ; il peut y avoir des introvertis heureux, que l'extériorisation forcée ne ferait que blesser et humilier sans pouvoir les convertir.
• Certes, les introvertis intellectuellement brillants, et relativement confiants en eux-mêmes, peuvent résister à cette pression, en acceptant avec le sourire des notes minables ou nulles en musique, en expression corporelle et dans les disciplines littéraires s'attachant beaucoup à la participation orale. Être bon élève en orthographe, mathématiques et travail manuel, par exemple, suffit pour réussir une scolarité menant à la profession de technicien.
   Il n'en reste pas moins qu'à qualités intellectuelles comparables, les introvertis sont maintenant pénalisés par rapport aux extravertis. Et pour les médiocres, cette punition accroît la dévalorisation, la situation d'échec. D'innocentes victimes font donc les frais du dogmatisme effarant de certains psychologues populaires, confondant leurs intuitions avec une connaissance objective. Même s'il ne s'agit pas ici de remettre le principe éducatif en question (l'auteur n'aime pas les enfants qui hurlent, agressent et réquisitionnent, et donc approuve ce qui pourrait les calmer durablement), il fallait rappeler qu'une institution s'arrogeant le droit de dresser les consciences risque de conduire à des déviations profondément injustes.

B - L'argument économique
• Comme nous venons de l'expliquer : si l'école n'était destinée qu'à rendre heureux ses élèves, il serait tout à fait abusif qu'elle pénalise et cherche à changer les introvertis. Cependant, elle a aussi pour vocation de préparer à une vie professionnelle, et de ce côté, le dynamisme et l'allant communicatif sont considérés comme des facteurs importants de réussite – ce qui justifierait leur enseignement.
   Il faut cependant noter que dans bien des domaines professionnels, prendre la parole sans cesse et pour ne rien dire, au lieu de réfléchir posément et en profondeur face à un problème, ne constitue pas un atout mais un grave facteur d'inefficacité. De même, se donner en spectacle et pérorer savamment peut favoriser la carrière personnelle, mais rechercher humblement des solutions tangibles pourrait être plus utile à l'entreprise.
   Les qualités requises pour un électronicien ne sont pas celles requises pour un vendeur. Le verbe et l'esbroufe peuvent être facteurs de succès dans les métiers relationnels, mais pourquoi l'école devrait-elle faire perdre leurs qualités propres aux jeunes gens qui auraient pu devenir des techniciens consciencieux ou de brillants inventeurs solitaires ? S'il y a, dans une société, répartition des tâches, pourquoi favoriser un comportement particulier ?
• Il ne faudrait pas oublier que le jeune cadre dynamique, devenu symbole de réussite professionnelle, est géné-ralement un improductif. S'il n'y avait que des gestionnaires et des marchands, il n'y aurait rien à consommer. En attendant une hypothétique robotisation universelle, déchargeant l'humanité de toute tâche agricole ou industrielle, il est donc nécessaire que subsiste une main-d'œuvre productive.
   Or, justement, certains individus aspirent à de tels emplois anonymes, discrets, en échange d'une paye simplement garante de confort matériel (murs protecteurs, nourriture). Pourquoi donc l'école devrait-elle s'acharner à donner de l'ambition à ceux qui n'aspirent pas à briller socialement, ceux qui veulent seulement rêver en paix, après une journée de travail sécurisante par sa monotonie ?
   Il ne s'agit pas de militer pour une société comme « le meilleur des mondes » d'Aldous Huxley, où les médiocres et les travailleurs de peine sont dressés à être heureux de leur sort. L'idée développée est plutôt que les extravertis, talentueux ou non, devraient simplement se battre entre eux, pour obtenir les postes de décision et de relation, sans chercher à mêler à leur lutte les introvertis, médiocres ou brillants. Pourquoi est-il maintenant considéré pathologique d'aspirer simplement à un gagne-pain non traumatisant, sans chercher un « travail intéressant » – ou en évitant même un tel emploi, perçu comme triste gaspillage d'intelligence et de créativité hors du monde intérieur ?
• Plusieurs arguments peuvent être opposés à cette remise en question :
1- Si les introvertis n'aspirent pas à des emplois supérieurs, il est normal que l'école réserve ses congratulations aux élèves voulant « aller loin ».
2- Les emplois subalternes devenant de plus en plus techniques, les tâches répétitives régressent – et, de plus en plus, la condition d'ouvrier réclame adaptabilité et talent d'improvisation.
3- Laisser des « cerveaux » devenir ouvriers ou balayeurs serait, sur le plan économique, du gaspillage puisqu'ils auraient pu apporter des idées rentables.
4- Un ouvrier ou employé accordant une grande importance à sa vie professionnelle et à sa carrière présente un meilleur rendement qu'un rêveur considérant son travail comme fort heureusement machinal.
   Nous allons tâcher de répondre sur chaque point.
1- Le problème de la pression scolaire contre les introvertis n'est pas que ceux-ci se voient, sagement, découragés de devenir cadres. L'injustice vient des reproches systématiques, au collège ou lycée, qui perturbent la tranquillité d'esprit des personnes visées. A l'adolescence notamment, où un certain dégoût vis-à-vis de soi¬même peut intervenir – suite à une déception sentimentale par exemple – une dévalorisation supplémentaire s'avère grave, le risque étant la dépression ou le suicide. Pour favoriser la promotion sociale des bavards sans humilier les silencieux, il suffirait d'abandonner tout critère d'extériorisation dans les disciplines obligatoires, en développant parallèlement des matières optionnelles, à fort coefficient, telles que théâtre, rhétorique, boniment publicitaire, tac au tac verbal, etc... Les élèves seraient alors jugés sur leur intellect (ou leur habileté technique) et c'est indépendamment qu'ils auraient à choisir leur but dans la vie sociale : soit ambition et extériorisation, soit pudeur et modestie.
2- En ce qui concerne l'adaptabilité et l'improvisation, le lien avec l'extraversion semble une erreur. Un élève, même s'il se refuse ou hésite à prendre la parole devant ses camarades, peut prouver à l'écrit qu'il acquiert sans problème les nouvelles leçons, qu'il trouve sans difficulté ni lenteur les solutions des problèmes originaux faisant l'objet des devoirs surveillés, Pourquoi une pensée brouillonne s’étalant à haute voix garantirait-elle particulièrement des qualités d’ecoute, de réflexion, de clairvoyance, d’originalité ?
3- Examiner les cas des individus à la fois réservés et talentueux dans un domaine économiquement utile ne conduit pas forcément à décréter que ceux-ci doivent atteindre des fonctions d'encadrement, de direction, et donc acquérir une certaine extraversion. Au contraire, s'ils développent mieux leur pensée dans la tranquillité que sous l'invective verbale, il faudrait leur aménager un cadre sécurisant, solitaire, et un mode de communication essentiellement écrit. Il serait bien sûr absurde d'exiger de tels postes, sur mesure, mais on peut présenter ainsi la situation : soit la compétence de ces indi¬vidus s'avère indispensable, et dans ce cas il faut leur proposer un poste non conflictuel, pour les attirer et leur permettre de travailler sans inhibition ; soit ils ne sont pas indispensables au point de créer pour eux des niches protégées, et dans ce cas, il faut leur laisser la liberté de devenir balayeurs ou éboueurs s'ils le désirent,
4- Il est totalement inexact d'affirmer qu'un extraverti est toujours plus travailleur qu'un introverti. Certes, un employé dynamique et cherchant à mériter incontestablement une promotion pourra abattre une tâche considérable, tandis que le rendement d'un employé souhaitant rêvasser paresseusement pendant les heures de travail sera particulièrement minime. Mais il serait injuste de favoriser systématiquement les extravertis à l'embauche, car nombre d'entre eux sont des rebelles voulant imposer leurs desiderata personnels et ne pas se laisser « exploiter », tandis que des employés réservés accomplissent leur travail avec le plus grand sérieux, notamment pour prévenir tout risque de réprimande. Quand des syndicalistes raillent leurs collègues trop soumis aux exigences patronales, des introvertis passent pour stakhanovistes. La situation d'appel à la grève est d'ailleurs déchirante pour un employé discret voulant par-dessus tout éviter les conflits : le choix se limite à soit mécontenter la hiérarchie, soit fâcher très gravement les collègues – ce qui rappelle d'ailleurs la situation de l'élève exhorté à s'extérioriser, qui a le sentiment de devoir choisir entre subir les sanctions professorales et dénuder sa pensée devant ses camarades.
• Il est peut-être utile de justifier cette perception du monde du travail, et l'absence de corrélation entre conscience professionnelle et importance affective accordée au travail en général. Prenons l'exemple ponctuel d'une personne de caractère, attendant de sa profession une vie relationnelle active et des succès sous une forme ou une autre ; persuadée de sa valeur, elle entend être con¬venablement récompensée par le patron qui l'exploite. Dans ce contexte, la vie professionnelle s'accompagnera d'exigences, et si celles-ci sont frustrées, un sentiment de trahison peut émerger : l'employeur ne fait rien pour motiver ses meilleurs employés. D'où la sanction sournoise, la punition, que constitue le travail au ralenti, sabotant la performance de l'entreprise. Inversement, un employé discret et honnête, choisi pour un emploi qui ne l'intéresse absolument pas, peut se sentir en situation de débiteur. Il doit en effet son confort à l'employeur, et accomplir au mieux le travail confié permet d'espérer que chacun trouvera son compte dans la situation – tranquillité d'un côté, dévouement apparent et rentabilité de l'autre. Ainsi, un technicien égocentrique, persuadé de l'absurdité de la science en général et de sa tâche en particulier, peut masquer – ou vouloir payer discrètement – son hypocrisie en accomplissant son travail avec zèle, tandis que ses collègues, persuadés de la grandeur et de l'importance de leur tâche, traîneront des pieds en se disant démotivés, dégoûtés par l'absence de reconnaissance (verbale ou financière) vis-à-vis de leur fondamentale contribution.
   Paradoxalement, un discours psychologiste glorifiant l'extraversion et la communication a envahi les entreprises, substituant des dogmes universitaires verbeux et grandiloquents à l'analyse humble des comportements individuels. L'argumentation entendue est approximativement la suivante : pour qu'une entreprise prospère ou même seulement survive, il faut qu'elle progresse constamment afin de surmonter la concurrence, et pour accom¬plir ce progrès sans investissement financier excessif, le plus judicieux est de « mobiliser les ressources humaines » ; pour cela, il faut disposer d'individus motivables, prêts à investir toute leur énergie dans le projet commun. Et ce portrait psychologique conduit à préférer les frustrés adeptes de la grève larvée – qui présentent un potentiel de progrès et d'enthousiasme – aux discrets travailleurs, appliqués mais se considérant comme des machines en location. Mettre l'accent sur les perspectives de progrès peut donc aboutir, via l'embauche exclusive d'individus de caractère, à pénaliser la performance actuelle. Et pendant que notre société pérore et sanctifie les tempéraments entiers, pendant qu'elle s'épuise dans les querelles inter-individuelles, les discrètes et hypocrites fourmis japonaises taillent des croupières à nos entreprises...
   L'école, qui s'attache à transformer les silencieux en bavards, les doux en fortes personnalités, facilite peut-être à ses élèves l'insertion en entreprise, mais l'ensemble du phénomène n'obéit pas forcément à une logique économique clairvoyante. Il est même possible que l'école soit le moteur d'un engrenage pervers : en réservant les hauts diplômes à des extravertis, elle précipite ceux-ci à la tête des entreprises, et ces jeunes cadres dynamiques peuvent être tentés de choisir leurs subordonnés sur les critères qui les ont classés, eux, comme supérieurs. Ainsi, le parti-pris de l'école serait la cause et non une conséquence des nouveaux critères d'embauche. Sans pousser l'hypothèse aussi loin, on pourrait suspecter un glissement dans les valeurs communes, qui aurait été suivi par l'école comme par les entreprises, sans que cette mutation soit assurément un facteur de prospérité. En dernier ressort, la justification du combat scolaire contre l'introversion ne serait pas économique.
   Quoi qu'il en soit, il est navrant que des adolescents doux soient blessés, que des adultes discrets et travailleurs soient cantonnés au chômage et à la misère, quand les bavards envahissants et les grincheux sont parallèlement choyés.