Lecture critique de « La nuit de feu »
Livre décevant
par Lèkteurkèl Konk, 22-28/03/2020

   On m’a prêté ce livre (écrit par Eric-Emmanuel Schmitt, publié par les éditions Albin Michel, 2015) en me disant qu’il rejoignait en un sens mes idées peu orthodoxes sur la religion. A lire.

   Première impression : ce que raconte l’auteur (au début) ne m’intéresse pas, il ne m’est pas sympathique et semble une célébrité pistonnée dès ses 20 ans (prof de philo classé grandiose pour une raison inconnue, et si c’est un haut diplôme d’érudition blablateuse c’est nul sans intérêt). Je n’aime pas son écriture, auto-admirative avec plein de passés simples qui ne sont pas comme je parle, pas comme je pense. Le mot le plus irritant a été « pis ! », qui est un archaïsme qu’il a lu dans les vieux livres et ressort à son compte en semblant se croire supérieur au quidam pour cela. Prétentieux à tort. [Plus loin, il dit qu’il est né en 1960 donc a 3 ans de plus que moi, il est de ma génération, pas une personne âgée parlant comme l’école de 1940 ou 1930.]
   Page 110 (de 182), un mot intéressant mais faux, chez ce professeur de philosophie : « Dire ʺje suisʺ, c’est dire ʺje ne serai plusʺ ». Non, ce n’est pas obligatoire, il faut être prétentieux idiot pour l’affirmer doctement. Une des cosmologies qu’il n’a pas imaginées est que le moi est tout, passant de rêve en rêve, depuis un temps peut-être éternel et peut-être pour une éternité à venir. En ce sens, « je suis » signifie « quelque chose semble être, passant par moi ». Que cela soit fragile en voie d’extinction est une possibilité, oui, mais pas la seule, pas automatique certaine. Plus loin l’auteur dit avoir étudié les religions d’Orient mais apparemment il n’a rien retenu des principes envisagés en Inde par le Bouddha, Sri Maharaj (« Je suis » serait la seule et unique certitude), etc.
   Page 111, c’est confirmé : « Mon existence se révèle finie, inscrite entre deux évènements absurdes, ma naissance et ma mort (…). Je n’ai qu’une certitude, celle de tout perdre. » C’est là une vision habituelle en Occident, matérialiste anti-idéaliste. C’est sa certitude à lui, peut-être, mais pas en chacun, pas en moi, et ça le classe donc en faux philosophe, non sage. Qui plus est, plusieurs religions affirment qu’on ne perd rien en mourant, qu’on gagne au contraire bien davantage, miraculeusement, tout est imaginable, sans certitude abusive.
   Page 115, il m’énerve encore : « où avait travaillé la nature quand elle était jeune (…) roches primaires (…) A l’époque il n’y avait pas d’hommes pour louer son travail ; elle les créa après. » C’est là encore un matérialisme partisan, sans évidence aucune, comme hybride entre le vieux roman biblique et le nouveau roman scientiste, ignorant (ou refusant sans le dire) certaines idées de gens anormalement lucides ici, ou dits clairvoyants en Inde. Peut-être que la matière et le relief et le reste de l’humanité sont des illusions, à histoire imaginaire, pourquoi y croire ? Non, ce n’est pas un philosophe osant le doute, c’est un fanatique affirmateur de ses croyances. Plus loin, il parlera de la rationalité (sans ouverture) qui avait été la sienne, mais c’est une arnaque pseudo-intellectuelle : comme l’escroc Descartes, il appelle raison le fait de croire avec force n’importe quoi, avec bla-bla prétendu justificateur en interdisant les objections. Nul en logique et en pertinence.
   Pages 132-135 est le cœur de l’ouvrage : l’expérience mystique nocturne de l’auteur. Il ressent un dédoublement du moi et un envol, il appelle ça Dieu, rencontre de Dieu. Bof. Qu’est-ce qui indique que c’est exogène ? et pas un délire en lui-même (ou bien un rêve de plus) ?
   Page 139, il conclut « Dieu, je L’ai atteint par le cœur (…) Quel bonheur qu’Il existe ! Joie ! Par ma foi toute neuve, je l’éprouve d’une façon puissante. » Désolé, je ne vois pas le rapport avec ce que les gens appellent Dieu. Le mot « extase inexpliquée » me parait plus approprié. Aucun rapport peut-être avec la Création du monde, un clergé, des lieux sacrés, des prières, une vie éternelle, un peuple élu, des prophètes, un pardon suprême des fautes, etc. Oui, ça éloigne du matérialisme athée, un peu, mais sans rapprocher en rien des religions du Livre (dites monothéistes : judaïques, chrétiennes, musulmanes).
   Page 163 : l’auteur commence à prier. Et je ne vois pas du tout le rapport avec son expérience mystique.
   Page 173, l’auteur envisage (enfin !) que son expérience mystique ait été imaginaire, liée à une sécrétion d’endorphine dans son cerveau. C’était évident dès le départ : l’auteur n’est pas un sage analyste mais un prétentieux manquant d’intelligence critique. Ce ne serait pas grave d’un quidam de base, à candeur sympathique, mais il se prétend philosophe et se fait payer comme professeur supérieur, je trouve ça abusif. Par ailleurs, parler d’endorphine est un nouveau terme matérialiste qui ne fait absolument pas le tour des lectures possibles : tant que l’hypothèse du rêve n’a pas été éliminée (et rien ne l’élimine jamais, honnêtement, à ma connaissance), la science expérimentale a une crédibilité douteuse, elle est crue par de fanatiques croyants scientistes seulement.
   Page 178, il y a une phrase que je n’aime pas (après que l’auteur se soit dit de plus en plus proche des religions et soit devenu auteur, publié) : « un vrai talent doit transmettre des valeurs qui le dépassent et qui le portent. » Je suis choqué par cet auto-enthousiasme affirmant lui-même qu’il a « un vrai talent », talent que je lui dénie. Oui, il le croit, mais moi je crois le contraire, et qu’il me crache à la figure en ne respectant pas mon point de vue (argumenté) en fait une personne fanfaronne, à tort.
   Page 179, l’auteur répète avoir rencontré Dieu (la nuit en question), cette affirmation me semble simplement un manque de recul, d’humilité, d’intelligence critique. Moi aussi j’ai rencontré Dieu (pas le même : le Bon Dieu, déniant que les mauvais romans Torah, Evangiles, Coran, aient le moindre rapport avec lui), mais c’est classé délire psychotique ou rêve nullissime, ce que je comprends à titre d’interprétation possible, envisageable. Pourquoi cet auteur n’envisage-t-il pas ces lectures-là ? C’est nul, au contraire de méritoire grandiose.
   Page 182 : « Nous devons reconnaître et cultiver notre ignorance. L’humanisme pacifique coûte ce prix-là. ». Je suis gêné par cette tournure, qui semble affirmer que – puisqu’il est agnostique en termes de savoir – hop, ça lui confère le noble statut d’humaniste pacifique. Même s’il approuve (peut-être) les frontières armées, les lois racistes pro-juives anti-amérindiens, les privilèges occidentaux se réservant l’arme atomique (et l’infraction aux traités internationaux), etc. Je ne suis pas d’accord : oui, l’humanisme pacifiste me parait beau, mais il conduit à la prison ou l’internement psychiatrique, hélas (en ce monde). Se prétendre humaniste pacifique en étant notable installé et populaire me parait un énorme mensonge. Enfin, il énonçait peut-être une condition nécessaire (à l’humanisme pacifiste), pas une condition suffisante, mais je trouve ça très suspect quand même, passant totalement à côté des graves problèmes inhérents à ce sujet.
   Bilan : l’auteur Schmitt a vécu un moment de transport mystique, d’accord, mais qu’il appelle ça Dieu parait hors-sujet. D’autres font parait-il une expérience semblable avec des substances interdites ou réglementées, hallucinogènes ou équivalent, ça n’a rien à voir avec la transcendance et La Vérité inaccessible au raisonnement. C’est presque un jeu de mots, sans intérêt à mon goût. L’auteur prétend avoir fait l’expérience que tout n’est pas que rationalité, grâce à cette expérience mystique, mais… ce qu’il appelle rationalité (philosophique) n’est souvent que du bla-bla nullissime, je l’ai montré dans tous les domaines de la philo que j’ai abordés (et dont lui fait son métier, avec fierté, à tort). La vraie rigueur est dans la logique (détruisant l’aura de la science expérimentale), les mathématiques (détruisant l’aura usurpée des statistiques), qui ne sont en rien son domaine à lui ; et s’il y a effectivement tout autre chose, immense, c’est à mon avis l’amour, la tendresse, la rêverie, pas besoin de mystique extatique.