Schopenhauer : oui et non
par Meuzur De Pré-Kossyon, 09/08/2021

   On vient de me donner des liens vers d’intéressants résumés du livre « l’Art d’avoir toujours raison » du philosophe d’autrefois Schopenhauer. Ces propos me semblent discutables, critiquables, mais la « philosophie » (scolaire ou d’auteur moderne), ça ne semble pas ça du tout, plutôt un étalage d’érudition citant des philosophes célèbres ou méconnus du grand public, avec immense fierté méprisant l’inculte, sans que les « philosophes » modernes ne pensent par eux-mêmes. Tout au contraire, j’ai écrit plusieurs livres de philosophie, refusés par les éditeurs (répondant « ce n’est pas ça la philosophie »), j’y faisais exploser cette discipline, la science, les valeurs dites essentielles (république, droits de l’homme, etc.). Mais non, il faut seulement roucouler son savoir livresque sans menacer l’ordre en place intellectuellement (enfin : sans menacer intellectuellement l’ordre injuste en place). C’est donc anormalement avec un œil critique que j’aborde Schopenhauer. Avant ces liens, je ne le connaissais que par une phrase célèbre, aperçue dans l’Encycopaedia Universalis, à propos du bouddhisme en Occident je crois.

1/ Le triomphe menteur en débat
   Dans l’ouvrage « L’Art d’avoir toujours raison », Schopenhauer détaille 38 recettes pour gagner malhonnêtement en débat même si on a tort. Je ne l’ai pas étudié dans ma scolarité mais ça me rappelle « Le Prince » de Machiavel, qu’on a étudié, détaillant comment rester au pouvoir par tous les moyens, mensonges et pièges malhonnêtes inclus.
  Une lecture au premier degré peut y voir des recettes utiles, à mettre en application sans vergogne, au nom d’un principe comme « la fin justifie les moyens ». Ce n’est pas mon cas, je n’ai jamais participé à un débat oral (ni exercé un pouvoir) et je n’aime pas mentir pour obtenir quelque chose (depuis que je suis adulte, et plu’ enfant se laissant aller à des petits mensonges pour échapper aux foudres parentales vues comme injustes), sauf face à autorité oppressive injuste appelant légitime défense, mensonge de soumission feinte, non de victoire écraseuse.
  Une lecture au second degré peut consister à identifier les mauvaises ficelles que peut employer votre contradicteur, pour mieux savoir les parer.
  Sinon (et c’est mon cas), la lecture est déplaisante, classant en mensonges sciemment malhonnêtes (mais efficaces) des modes d’expression qui ne sont pas du tout cela forcément. Généraliser ou prendre un parallèle imparfait, ça peut être un moyen de consolider sa pensée, même pour soi-même, sans chercher en rien à donner faussement tort à quelqu’un qui a raison. Non. Enfin, un résumé peut avoir omis un avertissement écrit en clair dans le texte source complet, dissipant ce malentendu grave, mais ça demanderait à être vérifié. En attendant, je ne dis pas du tout « ça vient de Untel célèbre alors c’est la Vérité, à applaudir et citer, seulement », pas du tout, non.
  Par ailleurs, je n’aime pas le titre du livre parlant là d’Art : je ne vois aucune espèce de beauté dans le mensonge injustement victorieux, dans la victoire usurpée. Enfin, un « méchant » peut être content de lui en pratiquant un tel jeu, mais ce n’est pas plaisant objectivement, pas artistique du tout.

2/ L’extinction de l’humanité
La phrase très originale de Schopenhauer que j’avais lue au début des années 1990, c’était quelque chose comme « s’il n’y avait plu’ d’humains, il n’y aurait plu’ d’humains malheureux ». Je pense que la plupart des lecteurs prennent ça pour une boutade absurde, paradoxale, pour rire. Personnellement, je trouve ça au contraire pertinent et sensé, sous plusieurs lectures envisageables :
a) Ecologiste extrémiste : l’humanité abimant la biosphère, en un sens… que l’humanité disparaisse serait une bonne chose pour la planète, et puisque cette humanité crie constamment son inconfort, le problème chronique de cet inconfort serait miraculeusement résolu par cette disparition.
b) Solipsiste ou sceptique : si autrui n’existe pas (n’étant qu’une marionnette inventée par le moi), l’extinction de l’humanité n’est en rien une catastrophe assassine terrible mais un simple changement de rêve ; l’ancien rêve disparaitrait, avec son humanité toujours mécontente ou malheureuse, c’est simple et en un sens : ce serait peut-être bien, mieux que le rêve présent (dans un tel rêve suivant, je pourrais ne pas être du tout humain, ni animal peut-être, je n'en sais rien à l'avance).
c) Bouddhiste : puisque vivre c’est vouloir, souffrir de ne pas tout avoir, donc souffrir, la fin de cette horreur est de ne plu’ rien vouloir, ne plu’ être, c’est le « nirvana » (correspondant au mot « mort » chez les athées ne croyant pas à la réincarnation automatique involontaire). La disparition de la vie (subie) pour tous, euthanasique par exemple, supprimerait la souffrance humaine de ce monde trop dur.
d) Suicidaire : quand on vit un drame déchirant, mué en profonde tristesse chronique, il est affreux de se voir interdit l’endormissement éternel personnel, alors en réaction (de légitime défense, puisque condamné à mort violente terrifiante) il parait compréhensible de souhaiter l’extinction universelle, de petites et grandes douleurs, sans demander de sort ultra-spécial pour soi-même. Sans tuer personne, ça rejoint la voie sceptique, mais le pilote de German Wings crashé a lui fait différemment, petitement.

3/ Complément Wikipédia
   Je lis ce jour qu’Arthur Schopenhauer (1788-1860) a parfois été dit « le philosophe bouddhiste », inspiré par les premières traductions en allemand des textes sacrés indiens.
   Il est dit qu’une part majeure de sa philosophie concerne l’esthétisme, ayant grandement influé sur la vie artistique. Il fait parait-il « l’éloge des plaisirs esthétiques et intellectuels » – je trouve ça mal pensé, oubliant apparemment que le sentiment esthétique est purement personnel, ineptes étant les prétentions artistiques à l’objectivement beau (comme à l’objectivement bon en cuisine) ça dépend des goûts sans aucun besoin de discours théoriques prétentieux.
   Autre point abordé, ses discours sur sujet et objet me semblent inutilement complexes et nuls, oubliant (comme d’habitude) de prendre en compte l’hypothèse du rêve, qui change tout.
   Il affirme aussi que le libre arbitre humain n’existe pas, et je ne vois pas pour cela d’argument convaincant. A titre d’opinion, oui c’est un des possibles (sous trois formes : déterminisme psycho-social absolu, ou religion extrémiste attribuant absolument tout à Dieu, ou hypothèse du rêve à rêveur décidant de tout), mais pas besoin de prétendu « philosophe » pour l’envisager.
   Concernant la phrase semi-bouddhiste que je connaissais, il est dit que c’est dans la ligne de son refus de la sexualité reproductrice. Oui, sans tuer personne, il suffirait de ne plu’ procréer pour que l’humanité s’éteigne, je suis assez d’accord (même si le monde continue bestialement).

   Bilan : Schopenhauer me semble décevant, à part sa phrase semi-bouddhiste que je connaissais déjà.