Elle disait « mon vrai pays, c’est Israël »… et moi : rien
Mauvais souvenir, coupable
par Trégranreu Gré, 16/02/2021

  Nous étions le 20 Octobre 1981, à Toulouse, centre-ville, Place Rouaix. J'avais dix-sept ans et demi, elle : dix-huit. Elle avait accepté de me revoir, deux ans après avoir refusé de me revoir (après mon suicide, pour elle). Et c’était une semaine ou deux après qu’elle ne soit pas venue à notre rendez-vous, qu’elle avait organisé, d’abord. J’acceptais tout, vulnérable, fragile.
  Elle a dit qu’elle, cette année en terminale (un an après moi puisqu’ayant redoublé la classe de seconde), elle avait pris « Hébreu Grands commençants », et j’ai pensé que oui, c’est des caractères différents, comme on s’est connus elle et moi en classe de Russe des années avant (5 ans, en fait). Elle a ajouté qu’elle avait été en Israël, danser le disco yeah dans les abris, et tout ça (maintenant elle connaissait les hommes, disait-elle). Et je n’ai rien dit. Plus tard, elle a dit « mon vrai pays, c’est Israël », et moi j’ai avalé ma salive. En me disant « j’espère qu’elle ne va pas émigrer là-bas, sinon : je ne la reverrai plu’ jamais ». J’ignorai que je la reverrais plu’ jamais, effectivement, même après vingt ans de fidélité à sens unique, elle refusant de me revoir à nouveau, pour toujours, et me demandant de consulter un psychiatre (peut-être puisque je ne comprenais pas ce que c’est que la vie – pour elle : multiplier les partenaires sexuels, jetés après usage, alors moi vieux garçon abstinent, je serais pour elle un anormal aberrant dangereux imprévisible, à éliminer du paysage)…
  En 1978, dans la cour du Collège/C.E.S., elle avait demandé à tous les camarades de classe : « est-ce que vous êtes racistes ? » Et que des répondeurs parlent d’arabes ne l’intéressait en rien de rien, elle voulait dire : « êtes-vous antisémites, me haïssant moi puisque juive ashkénaze ? ». C’était « dénoncer ce scandale » qui était pour elle l’antiracisme. Elle me disait l’année suivante, quand je lui proposais mon aide en maths (pour éviter son redoublement qui allait nous séparer) que son grand-père allait l’aider, son grand-père polonais Goldstain, rescapé d’Auschwitz.
  Presque 40 ans après, aujourd’hui (2021-1981=40), je réagirais différemment à son affirmation « Israël, c’est mon vrai pays ». En effet, je suis guéri de cet amour malade, mon intelligence critique n’est plu’ anesthésiée, noyée sous les neurotransmetteurs romantiques ou quoi. Qu’elle ait voulu me faire interner comme fou (puisque fidèle à elle, sans retour aucun), ça a cassé le truc. Surtout en refusant de me parler après mes deux ans d’hôpital physique, après mon second suicide. Là, stop, et – en imagination – je retourne en arrière ce 20 Octobre 1981, répondre plus judicieusement, correctement, intelligemment, moralement :
– Moi je dis : Israël, c’est mon vrai pays !
– euh, tu dis ça mais tu sais que… si tu disais « l’Enfer, c’est mon vrai pays, je suis le Diable », je dirais Oui, heureux que tu acceptes de me parler, un peu, à nouveau. En me demandant mon approbation, tu commets un abus de faiblesse.
– Non c’est pas ça ! C’est les monstres Nazis, les forts, les pourris ! Néo-Nazis ! martyrisant les faibles juifs, les faibles juives !
– en Israël, il parait que les forts colons ont martyrisé les faibles Palestiniens, les expulsant comme sale race, tuant les bébés de manière terroriste pour que les parents fuient, terrorisés, à jamais puisqu’interdits de retour. C’est ça, ton camp antiraciste ?
– N’importe quoi ! Ça c’est la propagande islamo-fasciste ! néo-nazie !
– il parait que sur les 12 millions de Palestiniens, seuls 2 restent en Israël, minoritaires, pour les sales boulots sous-payés, les autres sont interdits de retour, abattus à la frontière s’ils tentent de revenir…
– Pas du tout ! Eh, ces monstres nient le droit à la très légitime existence d’Israël-l’Etat-Juif ! C’est des monstres atroces antisémites !
– moi, désolé, je suis antiraciste humaniste, je pense que tous les humains sont frères et sœurs, je ne dis pas que mon pays c’est la France, mais c’est la planète Terre. Le groupisme nationaliste xénophobe, c’est une forme de racisme pas d’antiracisme.
– Sauf Israël, éh c’est pas pareil : nous on est pas des bourreaux, on est les victimes !
– va dire ça aux parents de bébés palestiniens assassinés pour crime de « sale race »…
– Non, c’est pas ça du tout ! Dans le monde entier, en tant que Juifs et Juives, on est menacés par la haine antisémite, on a besoin de notre refuge, c’est bien normal !
– puisque vous vous montrez racistes actifs, vous n’êtes peut-être pas victimes innocentes de racisme injustifié, mais racistes provocateurs prenant dans les dents un racisme en retour, erreur de colère, puisque vous devriez être condamnés antiracistement (sans condamner les bébés innocents, ni les renégats antisionistes anticommunautaristes : innocents)…
– Mais tu m’emmerdes ! C’est moi qui ai raison, et ch’t’emmerde, va chier !
– j’ai hélas compris que c’est ce que tu aurais dit, pareil, si j’avais accepté ton nationalisme sioniste…
– Vas chi-er ! Vu ?!
– oui, mais c’est devenu clair, dans mon esprit. Adieu, je suis guéri maintenant, mauvaise personne.
– C’est toi qu’es un monstre antisémite, ch’te déteste !
  Oui, violente et colérique, complice active de tueurs racistes terroristes, oh-là-là, combien j’étais aveugle… L’amour rend aveugle, rend con, pardon, mais je suis guéri maintenant. Je plaide coupable, très à retardement.