Peut-on rêver sa vie ? : un avis très différent
par Tof Meunié, Octobre 2012

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   J’ai aperçu dans une vitrine un magazine de philo intitulé « Peut-on rêver sa vie ? » (Philosophie pratique n°12, Sept-Oct-Nov 2012) et je l’ai acheté, pour voir s’ils citaient les arguments de mes livres « Contre la Réalité » et « Echapper à la dictature réaliste ». La réponse est Non finalement, totalement Non – passant à côté du sujet et pas seulement de mes contributions. Le contenu de ce magazine me semble révélateur du hold-up (que je crois) commis sur la philosophie. En tout cas, j’ai le sentiment d’avoir été un peu volé par publicité mensongère, et je vais digérer ce sentiment bénin en détaillant ce qui me choque et ce qui aurait été bien mieux selon moi – bref : inventer le magazine que je « rêvais » de lire sur le sujet…

1- Titre détaillé
   En plus du gros titre « Peut-on rêver sa vie ? », il y a trois sous-titres comme autant de pistes de réponse : « Cultiver un idéal », « Court-on après des chimères ? », « Une certaine idée du bonheur ». Euh, cela oriente le propos en aval de ce qui m’intéressait, en étant spécifique de la voie réaliste. J’aurais préféré une réflexion amont : Tout n’est-il pas chimères ? Un idéal comme raison de vivre, Le bonheur impossible serait possible (dans ma tête). Mais pour cela, il faut avoir soit une culture indienne, soit une expérience suicidaire, soit un recul classé ici schizophrène, avec l’intelligence (absente de ce magazine) de mettre en question les dogmes occidentaux, antiques et modernes.
   Un autre sous-titre est à part, détaillé : « Le conseil des philosophes. Avec Voltaire, Fénelon, Marx, Montesquieu et les sages d’aujourd’hui. » A suivre. J’aurais plutôt cité le Bouddha, Jésus-Christ (ou le prophète antérieur ayant inventé le Paradis post mortem), Schoppenhauer et Fredric Brown, mais voyons ce que cela dira. Est-ce enrichissant ou blablatant célèbrement ? Je me doutais hélas (par expérience) de la réponse décevante…

2- Aperçu avant lecture détaillée
   Il n’y a aucune introduction aux chapitres, aucune synthèse finale, seulement 7 chapitres bruts. Le premier chapitre est d’un auteur moderne au sujet de Marx (sur le Marxisme « machine à tuer »), les autres sont de purs extraits d’auteurs français datés 1651-1784. Bref, les sous-titres de couverture semblent alors se lire ainsi : rejetons le rêve marxiste, et jouons avec les bénins rêves d’avant la Révolution Française. Comme si la réflexion ne pouvait pas être datée des rêves surnaturels antiques, et comme si un néant suivait Marx sur le sujet du rêve. Où sont les sages d’aujourd’hui annoncés ? Pourquoi ne pas accuser La Bible autant que Le Capital ? Ce serait, sans le dire, une réflexion engagée, pas objective, semblant viser à briller culturellement dans les salons bourgeois judéo-chrétiens., sans oser douter des convenances. Au lieu de réfléchir. Hold up, oui.

3- Lecture en diagonale du seul essai moderne
   Les cinq premières phrases débouchent sur : « Loin de tout Logos et de toute Alathéia, le rapport social constituait le nouvel Arché ». Bla-bla réservés aux érudits. Autour d’une pensée vide ?
   Plus loin : « Ah, l’idéologie ! Ce système plaqué sur le réel, qui prétend avoir une valeur scientifique et résoudre tous les problèmes… ». C’est une faute épistémologique, ignorant que ce qui est scientifique sont des théories en instance de réfutation. C’est aussi une faute de logique pure, ignorant le caractère contestable de la science, qui présuppose l’axiome de réel – c’est oublier de se demander si le monde autour n’est pas un cauchemar (lequel peut paraître involontaire, surprenant, douloureux).

4- Reprises du sujet à zéro
   Le rêve étant composé de rêveries construites agréables et de cauchemars subis désagréables, tout pourrait être mon rêve, rendant insensée la question posée, surtout pour conclure « Non, on ne peut pas rêver sa vie, on ne doit pas rêver sa vie ».
   Un élève de treize ans de quartier difficile, classé débile léger, aborderait le sujet avec des arguments bien plus riches (que ce magazine), me semble-t-il , dans une rédaction, s’il fallait discuter du vers « Peut-on rêver sa vie ? Ou donc est-ce une lubie ? ». La réponse serait : Oui, on peut rêver sa vie, la preuve en est le glorieux Zinedine Zidane, ayant rêvé devenir footballeur professionnel, international, champion du monde, rentier… et plein d’enfants avaient fait le même rêve de vie, même s’il s’est concrétisé pour très peu. Pourquoi nier qu’ils l’ont rêvé ? Cela paraîtrait une façon impropre d’avoir voulu demander « peut-on vivre son rêve ? », et la réponse serait de toute façon Oui, avec Maître Zizou (et les vainqueurs du Loto) pour preuve réaliste… En tout cas, oui, on peut courir après des chimères, et en être heureux, rarement ou par procuration (statut de « fan », supporter), ou malheureux par déception, c’est la vie semble-t-il, ordinaire, de la majorité des gens (mariés heureux, divorcés aigris, etc). Via la prière, les religieux en ont fait depuis longtemps une affaire qui marche, avec l’invérifiable Paradis post mortem (ou nirvana futur) en cerise sur le gâteau. Effectivement, la contrariété conduit parfois à la violence – en sport comme en politique ou en religion ou autre – mais ça n’a rien d’une fatalité. Et que le but vienne d’un rêve ou autre (révélation, analyse, pulsion), ça n’a presque aucune importance, non ? Le sujet du rêve, séparant romantiques nébuleux et pragmatiques terre à terre, était indépendant, presque.
   L’élève que j’étais à seize ans pouvait débattre : Fredric Brown a popularisé l’hypothèse solipsiste (autrui est une marionnette, le monde est mon rêve cahotique) sans recevoir comme contre-argument que des interdits ou ricanements, alors que cela fait voler en éclats les bases universelles. Il faudrait tout reconstruire à partir de là, via une réfutation de cette hypothèse à supposer que ladite réfutation soit possible (trente ans plus tard, je pense que non). A l’évidence, la réflexion rationnelle est doublée par les impératifs moraux altruistes : une marionette serait librement tuable/mangeable etc. mais c’est un mauvais procès, rappelant celui contre l’athéisme ("si vous n’avez plus peur de Dieu voyant tout, vous allez tuer/manger votre prochain"). Les bouddhistes indiens, faisant leur le principe « tout est illusion » ont plutôt moins tué que les religions bibliques, entendant plier la planète à leur volonté (sur ordre divin). Bref, tous les amalgames semblent possibles, usuels, mais la réflexion est ailleurs, sur le plan de la compréhension avant de débattre des actes.
   Si je citais Shopenhauer (ou Schoppenhauer, je m’en fous, il ne s’agit pas de briller de Culture mais de citer des idées), c’est qu’il a émis l’opinion intéressante qu’il n’y aurait plus d’humains malheureux si l’humanité disparaissait – cela n’a rien d’un ordre d’extermination/suicide ! Mais notre pays pratique la confusion mentale, légalement, depuis la loi Fabius-Gayssot, appliquant (au génocide juif) le principe qui ferait dire que quiconque ne croit pas qu’ait existé le cannibalisme s’apprête à manger son prochain ! Intelligence et morale, honnêteté intellectuelle, me semblent ailleurs. Donc la philosophie évite la logique comme la peste, ça se comprend, hélas.

5- Complément de lectures historiques
   Pour ne pas condamner à tort le magazine, il est juste de le lire, ou de le parcourir au moins, sans investir/perdre la quinzaine d’heures que requerrait ses 98 pages format A4.
.   En 8 pages (14 avec photos), Fontenelle rêve de rencontrer des habitants de la Lune, de voyages aériens futurs. Bref, le rêve peut être en partie concrétisé, en partie démenti. Pas besoin de Marquise et d’imparfait du subjonctif pour cette évidence. Cela tenait a priori en une demi phrase.
.    Montesquieu est cité pour 1 page (4 avec photos), concernant l’apparence étrangère attirant les regards. Cela semble dénué d’intérêt pour le sujet, il ne s’agirait que de manger de la Culture classique.
.    Rousseau est cité sur 12 pages (20 avec photos), le tout se terminant sur une phrase tronquée. Est surlignée la phrase « Ainsi tous nos projets de félicité pour cette vie sont des chimères. Profitons du contentement d’esprit quand il vient, gardons-nous de l’éloigner par notre faute, mais ne faisons pas de projets pour l’enchaîner, car ses projets sont de pures folies. » Et alors ? La folie douce peut être heureuse et sans violence, quand le matérialisme peut être désespérant et violent – l’inverse est aussi possible, il s’agit presque de sujets indépendants. J’ajouterais que l’écroulement communiste ruine la tempérence à la Rousseau : même éduqués à la frugalité, les masses populaires soviétiques jouaient en secret au Loto… Et la publicité occidentale ravit les masses laborieuses d’Asie, espérant gaspiller luxueusement. Il ne semble pas s’agir de folie mais de normalité humaine, même si on peut en contester la sagesse, en objectant que l’intelligence devrait permettre de résister aux mauvais penchants. D’ailleurs, le terme « folie » ne désigne qu’une hérésie résistant aux dogmes sociaux, il est contestable un degré en amont. L’individualisme était classé folie sous Staline, l’athéisme peut-être sous l’Inquisition, l’hypothèse du rêve universel est classée schizophrène en Occident moderne (et le cauchemar universel est classé paranoïaque). Avant de clore avec dégoût ce chapitre, un œil aux dernières phrases : elles célèbrent la fête et ses plaisirs (en oubliant que cela est spécifique des grégaires extravertis). « Les messieurs daignèrent danser avec les paysannes, mais les femmes gardèrent leur dignité ». Oui, les bourgeois troussent les soubrettes et les bourgeoises oisives méprisent les paysans… quelle horreur ! A mon sens, le rêve n’est pas cette débauche de prétentieux bourgeois extraverti, mais la rêverie solitaire d’un humble travailleur introverti, peu investi dans le réel (ou dans les mondes subis si le réel est aussi une illusion). Rousseau est passé totalement à côté du sujet.
.    Diderot est cité pour 3 pages (6 avec photos) : un petit texte d’indépendantiste polynésien anti-colonisation. Ça paraît totalement hors-sujet si ce n’est qu’un français colonisateur parle à la première personne dans la peau d’un colonisé tahitien (c'est peut-être aussi le sens de Montesquieu plus haut, s'imaginant Persan, bof, écrire c'est en général imaginer). Il faudrait ici un texte explicatif pour dire si, selon les historiens, c’est deux siècles avant la naissance d’un sentiment anticolonialiste chez les tahitiens, ou si c’est une façon de donner la parole à des incompris tués sans les écouter. En l’état, ce texte paraît inexploitable pour enrichir la réflexion ; le très contestable rêve de Terre Promise des colonisateurs occidentaux était un sujet faisant miroir à la critique du marxisme, mais sa critique serait classée « antisémite », ce qui empêcherait de briller dans les salons mondains… Affligeant.
.    Fénelon est cité pour 13 pages (20 avec photos), avec un roman situé en Grèce antique, passant d’intrigues de palais à la mention d’un peuple simple et autarcique. Il manque le contrexemple de l’Albanie 1945-1985, voulue autarcique et devenue très pauvre, avec exode massif des habitants cherchant ailleurs le confort matériel, la jouissance de l’inutile. Etaler des citations célèbres ne dispense pas de réfléchir… Peu de gens, effectivement, semblent des rêveurs non matérialistes, et ceux qui le sont avec le ventre plein sont suspects d’être des enfants gâtés. Là me semblait le sujet.
.    Voltaire enfin est cité sur 5 pages (7 avec photos) : c’est la chimère célèbre du pays d’Eldorado, où tout est payé par le gouvernement et dont le héros européen revient hyper-riche. Il manque la critique du socialisme, avec le rendement très faible de beaucoup de fonctionnaires (principe qui a conduit l’URSS à la ruine). Quant au rêve de richesse des voyageurs, il a fait exterminer les Amérindiens, c’est pire que le communisme, cela méritait d’être dit tout autant. Et ces rêves « sociaux » de monde suivi n’ont rien à voir avec la problématique individuelle, instantanée, qui se pose d’abord à la pensée : travailler et se battre ou bien fermer les yeux et rêver, quitte à mourir ?

6- Bilan
Je vois, totalement hors de ce magazine, deux approches sages, sur le sujet :
I : VIVRE SA VIE EXCLUSIVEMENT EN RÊVE ?
   I.A : Selon les matérialistes, cela conduit à l’inconfort de la soif, puis à la mort par inanition (extinction bienheureuse au sens bouddhiste indien)
   I.B : Selon les sceptiques, oui c’est essayable, mais que faire s’il y a désaccord entre rêverie source et monde subi ? 3 voies au moins :
      I.B.a : changement de monde (fermer les yeux et vouloir très fort ailleurs), d’où asile d’aliénés
      I.B.b : fin du moi ici, via le suicide
      I.B.c : combat contre le monde subi : Révolution (citoyenne ou prolétarienne), Inquisition, Djihad, etc.
II : RÊVER PARTIELLEMENT SA VIE ?
3 voies au moins :
   II.1 : Rêverie idyllique, création plaisante en tant qu’auteur
   II.2 : Rêve nocturne, vécu comme involontaire
   II.3 : Rêve d’un futur réel possible. Mais quid si désaccord avec le futur rencontré ?
      II.3.a : prière ou équivalent, les yeux fermés
      II.3.b : déprime puis suicide
      II.3.c : combat
   Pour éviter la mort (d’autrui et de soi), le plus sage (en version introvertie) me semble être de tendre vers II.1 ou II.3.a. C’est un très grand message, lumineux, absent du magazine hélas.
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Réponse enrichissante de PFM, enseignant en éducation physique : (27/10/2012)
« pour moi la question posée n'a pas trop de sens telle quelle. "Peut-on rêver sa vie ?". De quoi est-il question ? De rêves prémonitoires ? Pour moi les rêves sont des images accolées au hasard (tant qu'on ne m'aura pas prouvé le contraire) pendant les 6 ou 7 phases de sommeil paradoxal que l'on traverse chaque nuit, avec une activité corticale similaire à celle de l'état de veille. Peut -on rêver sa vie alors ? Ben non, il y a peu de chances. Rêver quoi ? un moment de sa vie ? un épisode ? Toute sa vie de A à Z ? (Je ne comprends pas). Ou alors "rêver" ne veut pas dire rêver mais imaginer, souhaiter, anticiper, projeter ou espérer... Et alors là la réponse est limpide : c'est oui. On peut avoir tel ou tel espoir, tel ou tel projet... Et alors ? Où est l'exploit ? Dans sa réalisation ? Bof. Même pas. c'est Ivan Lendl qui disait "je ne me fixe jamais d'objectif, parce que soit je ne l'atteins pas et je suis déçu, soit je l'atteins et alors je n'ai pas visé assez haut.". »
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Réponse intéressante d’une enseignante retraitée, MFM (29/10/2012 --> résumé, 31/10/2012)
1/ Elle aurait commencé le sujet par l’opposition rêve/réalité, en prenant en compte « l’invasion du monde virtuel (internet, télé) ».
2/ Tous les créateurs se basent sur le rêve, au sens de « représentation mentale de ce qu’on désire, de ce qu’on veut réaliser ».
3/ La limite du rêve est le passage à l’acte pour réaliser ce rêve. Ceci peut être bénin, comme jouer au loto en espérant devenir riche, se convertir à une religion en espérant la vie éternelle.
4/ « Le non-passage à l’acte ouvre d’autres domaines en effet : la rêverie, la prière, le non-acte des bouddhistes. » Dans « Le dit de Tianyi », François Cheng raconte un amour impossible entre un humble et une jeune fille riche : devenu catholique (« la seule religion qui permet à tous d’espérer une vie dans l’au-delà ») il s’abstient de dire son amour, rêvant d’un futur éternel où tout sera possible, post mortem, et la jeune fille meurt de chagrin. C’est « passer à côté du réel ».
5/ Avec la mécanique quantique, on ne sait plus très bien où est le réel, ce qui ramène au point de départ…
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Mes réponses aux deux premières réponses (01/11/2012) :
Merci : vous apportez bien plus au sujet que les prétendus experts philosophes, peu sages mais simplement érudits en livres célèbres.
* Objection à PFM, 1 : Les 6 phases corticales paradoxales sont une croyance scientiste. Il s’agit certes d’un possible, mais il n’est pas plus démontré objectivement que le solipsisme. Je rappelle que, selon l’interprétation de réel présent, j’ai rêvé avoir un électroencéphalogramme prouvant que je ne rêvais pas… La sagesse me semble donc dans le non-savoir sceptique, doutant du réalisme comme du solipsisme (chacun pouvant tout « expliquer »).
* Objection à PFM, 2 : le « pas assez haut » de Lendl sous-entend que la rêverie n’a d’intérêt que pour motiver et améliorer le réel, c’est une possibilité mais pas du tout la seule – on peut rêver (rêvasser) pour consoler du réel ou remplacer les frustrations des mondes subis (cauchemars dont celui dit réel).
* Objection à PFM, 3 : Je crois me souvenir que Lendl n’était pas un rêveur le nez dans les nuages mais un compétiteur féroce broyant les adversaires, et qui a pris la nationalité américaine pour jouir de ses dollars au lieu de rester la principale source de devises en Tchécoslovaquie – comme expert en rêve immatériel, on fait mieux…
* Objection à MFM, 1 : le monde virtuel ne s’oppose pas vraiment comme le rêve au réel – j’ai rêvé avoir découvert telle photo (de ma copine perdue) sur Internet mais au réveil, j’en ai conclu que c’était un rêve nocturne, l’Internet rêvé étant plus riche que celui qui est subi ; par ailleurs, le livre (à l’ancienne) fait plus rêver que la télévision (ou le cinéma) qui prémâche les images et les visages, moins libres qu’en rêverie personnelle.
* Objection à MFM, 2 : se convertir à une religion pour obtenir la vie éternelle n’est pas obligatoire et peut-être pas suffisant. En Inde, la culture ambiante des diverses religions et non-religions consiste à penser que l’âme des morts se réincarne en animaux, choisir une religion ou une autre ne serait alors que maximiser ses chances d’éviter ce cycle infernal, ou « mieux » obtenir telle matérialisation de prière en cette vie-ci ; en Occident, il suffit de lire intégralement l’Evangile officiel de Saint-Luc pour découvrir que Jésus-Christ ne promet pas la vie éternelle à tous mais exige que chacun se ruine à aider les blessés (ce que ne font pas du tout les églises chrétiennes dominantes…).
* Objection à MFM, 3 : dans ce que je lis du roman de Cheng, la fille semble terriblement possessive – le vrai amour, à mon sens, n’est pas d’exiger l’amour de l’autre mais de l’espérer, en ayant simplement la chance de le/la revoir, pour raison de vivre un lendemain sur Terre. Ça me rappelle la discussion avortée avec ma nièce Clem concernant la chanson de Goldmann (à très belle musique) « Pour que tu m’aimes encore », dont je disais que les paroles ne représentaient pas l’amour (respectueux de l’autre) à mon idée.
* Objection à MFM, 4 : la mécanique quantique ne sape pas le réalisme mais seulement sa conception matérialiste déterministe. Comme toute mécanique sérieuse, elle a été bâtie en aval de l’axiome réaliste. De plus, elle ne concerne que l’infiniment petit, à ce jour, n’obligeant nullement à revoir nos jugements à notre échelle. Le débat sur le rêve me semble ailleurs.
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Ajout majeur (02/11/2012)
Une amie dont l’opinion est que tout existe, peu important la dissociation entre rêves et réel, a décliné mon invitation à réfléchir au sujet « peut-on rêver sa vie ? », préférant d’autres sujets philosophiques comme « Quelle réalité après la mort ? la perception de la mort influence directement le sens de la vie, d’où les voies bouddhiste et spirite ». Je vais donc essayer d’imaginer le point de vue qu’elle aurait pu exprimer (si je ne me trompe) et j’entrevois que cela répond accessoirement à son nouveau sujet.
* Si rêves et réel ne sont plus dissociés, les mots « rêves » et « vie (non rêvée) » perdent leur sens. On peut refuser la question « peut-on rêver sa vie ? », donc, ou l’accepter avec n’importe quelle réponse, tenant de l’absurde (comme « quelle est la différence entre un arbre et un sentiment : oui ou non ? »).
* Si le vécu englobe l’ensemble des rêves, il est incohérent – en particulier au sujet de la mort, puisque je rencontre parfois des gens affirmés ne plus pouvoir exister aucunement (mes grands-parents, le Général De Gaulle, etc.). On peut donc envisager à la question « peut-on rêver sa vie ? » la réponse « oui et non » (au sens « totalement oui et totalement non », pire que le « partiellement oui et partiellement non » que j’envisageais). La « raison » vacille, ou s’endort, à la façon bouddhiste…
* Je maintiens ma position : même si le monde était intégralement mon rêve, assortis de faux souvenirs et fausses certitudes, il resterait qu’il a deux saveurs – le construit (rêveries) et le subi (cauchemars, « réel »). On reviendrait au problème de départ : est-ce que l’on peut subir (avec joie) ce que l’on avait rêvassé ? A l’évidence, oui c’est partiellement possible, et ça semble rester rare.
* Là où cela rejoint son autre question, c’est que j’ai failli ajouter « (rare) dans le monde présent », qui peut sous-entendre ici-bas, tout devenant possible dans l’au-delà paradisiaque auquel semble croire une majorité de (personnages) humains. Personnellement (et même si je suis sceptique envisageant que le matérialisme athée ait raison), je ne crois plu’ à la mort biologique du moi. Autrui peut « mourir » (s’éteindre et être souvent absent au titre de la logique prétendue), mais ça n’a rien à voir avec la disparition du moi, qui n’a pas de sens (pas plus que « qu'y avait-il avant qu’il y ait quelque chose ? » ou « quel goût a le rien de sensation ? »). Cela n’oriente pas spécialement le sens de « ma vie » – dans la plupart des mondes, par facilité, je suis les régularités apparentes (si j’ai soif, je bois de l’eau, parce que j’ai idée que ça ira mieux après, etc.).
* Bref, s’il n’y a aucune réalité, la mort n’existe peut-être pas et n’oriente pas le sens de la vie (la vie n’a pas de sens défini, relevant davantage du n’importe quoi – PFM dirait peut-être « relevant du rêve, remoulinant n’importe comment les souvenirs vrais »). Toutefois, je vois des personnages dont chaque action est guidée par le conte du jugement dernier conditionnant leur accès au Paradis post mortem. A mon idée, c’est incohérent : comment cela pourrait-il être le paradis pour tous quand un million de femmes veulent Robert Redford pour elles toutes seules ; sauf lavage de cerveau remplaçant le Paradis escompté par une déception vécue avec joie ; sauf réalité virtuelle post mortem, chacune « vivant » effectivement avec (un) Robert Redford pour elle toute seule, sous les regards jaloux des autres (marionnettes). Je le dis en clair : (à supposer qu'autrui existe) « si on rêve sa vie post portem, la solution logique (aux incompatibilités entre paradis) est d’y vivre son rêve, et ce miracle serait le cadeau divin, d’un Dieu d’amour » (celui des Marcionnistes ? pas le raciste Dieu des armées de l’Ancien Testament).
* Là où cela rejoint la voie bouddhiste, c’est que le saut vers « la vie totale dans le rêve » aboutit à un abandon du corps, mort matérielle selon les athées. Donc « oui, on peut vivre sa vie, dans l’au-delà, même si ça fait mourir ici », déclinable en version douce, ou ma version timorée : « oui, je pourrai vivre mon rêve, quand je serai mort, on verra, c’est pas pressé, j’ai peur de la douleur ».
* Et ça reboucle le sujet en sens inverse : certains (personnages humains) affirment qu’il faut souffrir pour autrui afin que la vie trouve un sens, avec l’exemple du très douloureux accouchement – je n’en suis pas convaincu : la planète court à la surpopulation, et les parents me semblent se faire plus plaisir que sauver l’humanité en enfantant.
* Toutefois, je ne partage pas l’idée religieuse d’un passage « sur Terre, humain » comme épreuve ou chance, pour gagner le Paradis post mortem (ou post extinction universelle). J’envisage d’être mort deux fois, à 15 ans et 34 ans (16 et 35 ans de ma copine perdue/imaginaire), et je ne me retrouve que « dans le rêve suivant », pas beaucoup plus joli. Je rêverais ma vie au sens nocturne, pas rêverie. Comme dans un cauchemar, je pare au plus pressé, je mange des choses parfois pas bonnes et je fais pipi-caca, ça semble à tort très matériel. Que la vie post mortem soit un Paradis aurait été une rêverie, déçue par « le post mortem en vrai (dit Réel encore) »…
* J’ai conscience que ma pensée est partie un peu dans tous les sens, mais je ne suis pas sûr que ce soit reclassable sans perdre des idées majeures. En tout cas, avoir parlé de vie, dans la question « peut-on rêver sa vie ? », débouche clairement sur la non-vie, la mort, la vie ou non-vie dans la mort. Le sujet est effectivement bien plus grand que je ne l’avais envisagé au départ. Merci.
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Complément (28/01/2014)
   Dans l'entreprise où je travaille, l'équipe managériale a clamé aujourd'hui cette citation : « Le futur appartient à ceux qui croient en la beauté de leurs rêves » (Eleanor Roosevelt : "The future belongs to those who believe in the beauty of their dreams.")
    Ces mots me sont plutôt sympathiques, mais je vois plusieurs objections, potentielles, graves (et je n'aime pas les "littéraires" qui se trouvent grands à citer des célébrités passées au lieu de réfléchir de manière contradictoire) :
– 1 : La confusion rêve/réalité (croire en ses rêves) est classée schizophrène (en Occident moderne), attention. Ce n’est pas la beauté mais la réalisabilité qui semble ici exprimée, mal.
– 2 : Un inventeur qui ne se contente pas de son projet nébuleux mais croit pouvoir le réaliser, et essaye, peut se ruiner ou devenir milliardaire. Dire « le futur appartient » n’est pas clair, et il aurait fallu ajouter « à certains parmi ceux qui… (et pas "à tous ceux qui…") ».
– 3 : Les conquistadores (dont les ancêtres Roosevelt spoliant les Amérindiens), Staline, Hitler, croyaient en la beauté de leurs rêves, ils ont vaincu horriblement ou se sont plantés. La beauté n’est pas objective, c’est le drame. Et la beauté ressentie, assortie d’un vœu de réalisation forcené en pratique, conduit à des outrances très contestables. Attention.
– 4 : Il y a une forme évidente d’égoïsme dans le fait de croire belles ses propres créations sans laisser autrui en décider. A titre individuel, c’est bénin et peut-être facteur d’auto-satisfaction, d’équilibre, mais pour ce qui est de devenir dominant grâce à cela (prendre possession du futur d’un grand nombre de gens), c’est moralement douteux (anti-altruiste). Ce qui rejoint les objections 2 et 3.