L’anti-activisme en question
Mot à CLB, grande fan des Beatles
par CME, 24/09/2020

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  J’ai repensé à la jolie chanson des Beatles « Let it be » (ainsi soit-il ?), dont les paroles méritent peut-être discussion, en contenu, pas seulement en transcription verbale. Google/Lemonde.fr les traduisent en :
« Quand je me trouve dans des moments difficiles, Mère Marie vient à moi
Mots qui parlent de la sagesse, laissent faire
Et dans mon heure d'obscurité, elle se tient juste devant moi
Laisse-le être, laisse-le être
Murmure des paroles de sagesse
Laisse faire
Et quand les gens au cœur brisé du monde sont d'accord
Il y aura une réponse, laissez-le
Car bien qu'ils puissent être séparés, il y a encore une chance qu'ils voient
Il y aura une réponse, laissez-le
Laisse-le être, laisse-le être
Ouais, il y aura une réponse
Laisse faire
Et quand la nuit est nuageuse il y a encore une lumière qui brille sur moi
Brille jusqu'à demain, laisse-le être
Je me réveille au son de la musique, Mère Marie vient à moi
Mots qui parlent de la sagesse laissent faire
Laisse-le être, laisse-le être
Laisse faire
»
  Euh, je comprends que « laisser faire » soit une forme de sagesse, mais dans certains cas seulement. Au moment de la Rafle du Vel d’Hiv, fallait-il laisser faire (la police française) ? Inversement, au moment de l’extermination des enfants palestiniens à Der Yassin, fallait-il laisser faire (les colons assassins) ? Même au temps des Beatles et de la guerre du Vietnam, fallait-il laisser les Vietnamiens devenir communistes ? et/ou fallait-il laisser faire les Etasuniens les massacrant s’ils ne restaient pas Occidentaux/soumis ? Le laisser-faire ressemble dans ces cas à un égoïsme indifférent : je laisse faire les bourreaux puisque je ne fais pas partie des victimes, et c’est très moche. En un sens, ça semble un mode paresseux de la pensée endormie, lucide en rien. Le joli « let it be » britannique serait RAF non au sens Royal Air Force (ne laissant pas les Nazis envahir la Grande-Bretagne) mais Rien À Foutre…
  Toutefois, en sens inverse, l’activisme semble un combat sans fin en lutte perpétuelle pour toutes les victimes du monde, et ça manque aussi de sagesse. Voire de sincérité si la lutte se fait en pays protégé contre les bourreaux, ou avec statut protégé (type : « humain » pour les pourchasseurs de maltraiteurs d’animaux/les condamneurs de carnivores). Au lieu de la paix acceptant l’autre et ses différences, il s’agit d’une guéguerre (voire guerre franche) sans fin qui est très moche, imposant mes valeurs sans tolérer objection.
  En ce qui me concerne, l’équilibre que je trouve consiste en un intermédiaire entre « laisser faire » et « partir en guerre » : j’exprime (sur Internet, faute d’accès à la publication verrouillée par éditeurs) mes désaccords avec ce qui me choque, sans prendre les armes pour l’empêcher. Sinon je serais en prison ou tué, il est sage de se contenir, oui, même s’il est moche en pratique de laisser triompher les affreux.
  Ce que je disais ci-dessus concernait la "théorie de la connaissance" (le scepticisme étant puni de prison en France), mais j'ai aussi des opinions politiques uniques, inventives, et on m'a fait remarquer qu'il faudrait une violence immense pour les mettre en pratique (contre l'égoïsme commun, dirais-je). Et je ne suis pas du tout partisan de cette violence, sans pour autant approuver la mocheté du monde présent. Entre les deux, je soupire tristement et justifie ma voie inventive, même si elle n'intéresse personne sérieusement, du fait notamment de l'esprit de famille et de la condamnation du suicide (puisque ma voie serait une sorte d'humaniste-mondialiste suicide de l'Occident, sans mort mais renonçant aux privilèges).
  Je dirais aussi un mot de la référence étrange à Mère Marie dans la chanson. Visiblement, il s’agit de la mère de Jésus-Christ sacralisée par une part des chrétiens, pas de la mère Lennon ou Mc Cartney se trouvant par hasard prénommée Mary. Or Marie ne dit rien de rien dans les Evangiles, elle n’est que la mère de Jésus, et « laissez faire » est-il un message de Jésus ? Absolument pas : Jésus a au contraire appelé à tuer les parents éloignant leurs enfants de Dieu, c’était donc un activiste tueur intolérant (et incohérent puisque appelant aussi à aimer ses ennemis, tout en faisant lui le contraire). Il y a là une contradiction phénoménale, presque débilissime dirais-je (si je ne respectais pas davantage les prétendus débiles que les prétendus intellectuels/artistes/messies).
  Bref, je trouve les paroles de cette chanson très mauvaises, même si elles tournent un peu autour d’un sujet intéressant à débattre.

--- Ajout 25/09/2020 : Correction
  Ma correspondante CLB, experte, précise/corrige le contexte (merci beaucoup) : « Mother Mary est la mère de Paul McCartney, décédée alors qu'il n'avait que 14 ans. Une nuit, elle lui est apparue en rêve, à un moment où il traversait une période difficile de remise en question (les Beatles allaient bientôt se séparer). Dans son rêve elle lui a conseillé de laisser aller, de lâcher prise, et ce conseil a beaucoup soulagé et apaisé Paul. Voilà, cette chanson relate juste une douce expérience de Paul avec sa maman défunte. »
   Effectivement, que j’ai essayé de tirer des grandes leçons philosophiques aurait été une complète erreur de ma part, désolé. Il s’agissait juste d’un mot du quotidien bénin, « laisse courir » dit-on en Français familier, adressé à des jeunes se querellant pour avoir le dernier mot dans une dispute verbale. Simplement, il aurait été plus explicite de dire « ma maman » plutôt que « mère Marie », et « après que je me sois disputé avec mes amis » – sans paraître donner des leçons grandioses. Le malentendu n’est pas absurde cependant, puisque j’ai entendu dire que John Lennon a été assassiné pour avoir dit que « Les Beatles sont plus importants que Jésus-Christ », et sa (jolie) chanson « Imagine » est considérée comme un hymne grandiose pour une paix universelle sans plu’ de haine religieuse ni nationaliste dans le monde (je suis d’accord sur le principe, même si je ne me battrai pas pour, je « let it be »…).

--- Ajout 19/10/2020 : Objection majeure
  Aujourd’hui dans un débat télévisé sur chaine C-News, un commentateur du parti LR (au sujet du professeur français décapité par un islamiste il y a 3 jours) s’est exclamé, à propos de ceux qui hésitent à frapper très fort contre l’Islamisme coupable et ses complices : « La lâcheté, c’est le début de la responsabilité ».
  Euh, que répondre à ça ? Si je soupire et laisse faire ce qui me semble le mal (dominant, par exemple), suis-je lâche (non combattant) donc co-responsable de ce mal ? C’est effectivement ce que clament les activistes mobilisateurs, secouant les neutres pacifiques, mais je ne suis pas d’accord. En effet, cela s’appliquerait pour tout et n’importe quoi, de manière contradictoire, en étant débordé (si on s’engage) par des violents de ce camp. Donc non, je ne suis pas d’accord.
  Exemples :
- Dans la guerre froide Capitalistes/Communistes, les uns exploitaient mochement les travailleurs de peine, les autres martyrisaient mochement les dissidents, dire que les neutres au milieu sont co-responsables de ces deux horreurs ne me parait pas juste. (Et, né en pays capitaliste, je critiquais de l’intérieur le capitalisme sans approuver l’approche communiste).
- Dans la guerre larvée Occidentaux/Islamistes, les uns approuvent le racisme pro-juifo, les autres décapitent des incroyants, dire que les neutres au milieu sont co-responsables de ces deux horreurs ne me parait pas juste. (Et, né en pays sioniste, je peux essayer de critiquer de l’intérieur le sionisme sans approuver l’approche islamiste).
  Enfin, si les activistes veulent qualifier de « pitoyables merdeux » les non-engagés parlant sans agir, libre à eux, mais j’envisagerais des insultes similaires à leur encontre (sauf qu’ils ont le pouvoir et le monopole injuste de la condamnation judiciaire pour injure).

--- Ajout 12/04/2021 : Parallèle indien
  J’ai entendu dire qu’en Inde, la tradition est de « laisser faire » ce que veulent les dieux. Si un enfant est en train de se noyer en appelant au secours, il parait que là-bas, l’usage n’est pas du tout de se précipiter à son aide (sous réserve de ne pas se tuer soi-même) mais d’être triste que les dieux aient voulu cette mort en train de s’accomplir. Ici, c’est classé criminelle « non-assistance à personne en danger », mais là-bas c’est la normalité traditionnelle, nos activistes trépidants leur paraissant insensés, insultant la volonté des dieux.
  Théoriquement en Occident, ça pourrait être pareil avec la tradition chrétienne (catholique ?) moyenâgeuse : tout étant dit voulu par Dieu tout-puissant tout-connaissant, en cas de maladie (ou accident en cours) la bonne attitude est la prière demandant à Dieu l'absence d'issue fatale, tandis que l'activisme (ou la pharmacie/médecine) insulte en un sens Dieu, en voulant que les humains fassent les événements contrairement à la volonté divine. Une variante dit que si l'enfant se noie, c'est que Dieu lui fait cadeau d'un accès en avance au Paradis post mortem, il faut remercier Dieu et ne pas du tout s'y opposer. Cette vision semble plus ou moins abandonnée (pas forcément sous influence athée, peut-être en disant que Dieu nous a donné l'intelligence inventive et active pour modifier les choses se produisant), semble-t-il, mais ce principe de "laisser faire" (Dieu ou les dieux) n'est pas idiot inaudible en nos sociétés.
  Deux détails anecdotiques : j'ai lu dans les "Pensées" de Blaise Pascal un passage peu célèbre où il remerciait Dieu de le rendre parfois malade (pour sanctionner sa foi en Dieu imparfaite), et soulager cette souffrance (par médicaments) serait donc offense à Dieu ; de même, j'ai entendu dire que l'hôpital français a longtemps été hostile aux analgésiques, trouvant saine la douleur, de même la péridurale pour soulager l'atrocité de l'accouchement dit crotte au Dieu de la Genèse, ayant voulu que la femme accouche dans la douleur. Le remède est plaisant matériellement, mais spirituellement il refuse le "laisser faire", ce qui se discute, en théorie du moins.
  Revenir ainsi "en arrière" ne serait pas forcément une aberration totale : il y aurait moins surmédicalisation des anciens, l'espérance de vie redescendrait à 40 ans comme au Moyen Age, avec moins de pollution, surpopulation et saccage de la planète, s'inspirant par exemple de la tradition amérindienne (ou aborigène) de vie en harmonie avec la Nature (au lieu de massacrer cette attitude par suprématie judéochrétienne ravageuse), c'est autre chose que la voie occidentale mais pas du tout absurde..
  A mon avis, c’est à prendre en compte, comme approche. Etant personnellement sceptique non-croyant, je ne suis pas enthousiaste partisan de cette voie-là, mais je comprends que nos pseudo-évidences ne sont pas du tout indiscutables. « Let it be » serait un peu une prise en compte de la sagesse indienne (effectivement découverte en Occident dans ces années hippies et Beatles), apaisante en un sens, pas exempte de reproches chez nous (pas « grandiose » non plu’).