Refaire le monde à partir de la Géographie !
(écrit manuscrit de début Mai 2023, par Marie-Françoise Boucrot Meunier [avec Jean-Philippe Princé Meunier], géographes professeurs agrégés d’Histoire-Géographie dans l’enseignement public français, à la retraite depuis les années 1990, mais ayant beaucoup à dire).


L’Histoire de l’Enseignement de la Géographie
[Triste histoire puisqu’elle se termine par un hara-kiri (pas pour les raisons que propose mon fils second !)]

* Une discipline militaire : XIXe siècle --> 1914-18
    Ni lycées ni universités n’enseignent à cette époque la Géo, seulement les lycées militaires dans le cadre de la formation des officiers : repérer l’ennemi, préparer les offensives, etc…
    D’où l’utilité et la précision des cartes : les fameuses cartes d’état-major.

* Une discipline de Culture Générale : en gros de 1918 jusqu’au dernier quart du XXe siècle.
(C’est l’époque où nous avons enseigné)
    L’enseignement de la Géographie, donné à tous de l’école primaire au Bac, vise à armer le citoyen moyen pour qu’il se situe dans l’espace sur la planète (l’Histoire permettant en parallèle à se situer dans le temps).
    La démarche était progressive. Pour ce qui est de la discipline dans l’enseignement secondaire :
– 1er cycle : les continents (savoir situer les pays, connaître les milieux naturels ; en fin de formation en 3e étude détaillée de la France).
– 2e cycle : après une année de Géo générale (les reliefs, les climats, les milieux), approfondissement sur des études de cas (la France et les DOM-TOM en 1e, les grandes puissances en Terminale).
    C’était lourd, mais on avait la possibilité de choisir.

* Une discipline morale
    A la fin du XXe siècle (influence des politiciens ± socialistes, air du temps), on insiste sur les niveaux de développement (pays riches, pays sous-développés) et sur la responsabilité des pays riches dans la misère des autres.
    C’est l’époque de la « repentance ».
    Tous les exemples proposés aux élèves portent sur des sujets explicites :
Exemples : en 6e l’Afrique – le SIDA au Botswana
En 5e l’Asie – les bidonvilles de Bombay
En 3e l’Amérique – l’âge d’or de la Floride (tourisme)
    Les pauvres crèvent de faim, les riches se gavent. Mea culpa mea culpa.
    NB. Les élèves ne sont pas passionnés – la cote de la Géo s’effondre…

* Une discipline technique
– Au début du XXIe siècle jusqu’à l’heure actuelle la Géographie intègre de nouveaux outils : la statistique (tableaux et graphiques) et de nouveaux sujets comme l’écologie. Les études proposées aux élèves sont très techniques (j’ai suivi ma petite-fille Co.) genre :
- en 5e la transformation de l’Amazonie (déforestations, cultures d’exportations)
- en 3e l’aménagement du secteur du Mont St Michel
Avec documents professionnels sur les budgets, les plans.

* La chute
    Tout cela devient très lourd. D’autant que par mesure budgétaire l’Etat supprime des heures de cours :
- 3h/semaine au lieu de 4h dans le secondaire
- 2h/semaine dans le technique (mon petit-fils Va.)
    Et il faut en plus intégrer l’Education Civique… discipline fondamentale maintenant !
    Finalement au niveau BEPC ça donne :
- un sujet d’Histoire sur 10 points
avec dossier de documents et questions, par exemple le rôle des tranchées dans la guerre de 14-18 ;
- un sujet de Géo sur 5 points
par exemple compléter la carte des grandes villes de France ;
- un sujet d’Education Civique sur 5 points:
par exemple la francophonie dans le monde.

* « Connaissance du monde contemporain »
    C’est le nouveau nom de cette nouvelle discipline mixte qui comprend :
- des éléments d’Histoire
- des éléments de Géo (localisation, statistiques)
- des éléments d’Education Civique
    On peut comparer cette évolution des programmes à celle qui a donné en science « SVT », Sciences et Vie de la Terre (Sciences Nat + un peu de Physique-Chimie).
    Dans le Second Cycle et à l’Université, c’est l’Economie qui envahit l’espace avec tableaux, graphiques, monographies. Mais… peu ou pas de cartes (donc de localisation, on peut passer 1 mois sur le Japon sans afficher une carte !).
    Exit la Géographie…
    Bon, pas de regrets. C’est ingérable.
    Personnellement, j’ai beaucoup d’espoir dans les nouvelles technologies par exemple l’Intelligence artificielle : apprendre aux élèves et aux étudiants à travailler avec les bases de données informatiques, faire des synthèses avec CHAT GPT ou GPT4 ! Las ! Le premier réflexe des collègues est d’interdire (Sciences Po, HEC !!).
    Moi je rêve de reconstruire la Géographie et de l’enseigner avec application ! Je pique des crises de rage quand j’entends à la télé des hommes politiques se mélanger les pattes dans la localisation… sans parler des journalistes qui jonglent avec les millions, les milliards, etc…
    Merci pour le remue-méninge. (Point final).

Préambule familial (réponse au second fils, critiquant l’enseignement reçu en 1971-81 – cf. https://www.kristofmeunier.fr/geo-hist-0.htm) incluant réponse argumentée à cet intéressant exposé d’ici)
    Ton souvenir d’un enseignement « par cœur » m’étonne toujours. Dans notre génération la formule pédagogique était :
- observer et localiser
- décrire
- expliquer
- comparer
    Donc un chiffre n’avait de valeur que comparé à un autre.
    Par exemple quand ton père tout fiérot au Bac annonce à l’examinateur qu’il y a à Madagascar 20 millions de têtes de zébus, le prof lui répond : « C’est possible mais je m’en fiche. Dites-moi combien il y a d’habitants ? » La réponse comparative devait mettre en évidence qu’il y avait 2 fois plus de têtes de bétail que d’habitants…
    Pour ma part, j’ai plutôt appris aux élèves à poser des questions qu’à réciter des catalogues de chiffres !
    Et pour autant que j’ai pu suivre les études de mes petits-enfants, j’ai remarqué que tous les sujets d’examens actuels en H.Géo comportent des dossiers de documents : dates et chiffres sont donnés, et la réflexion porte sur des questions !
    Ces réflexions nous ont menés JP et moi à une petite récapitulation sur… [L’Histoire de l’Enseignement de la Géographie]